Le réalisme se coiffe de magie : 


                                                                                                                 MEDDOUR Sarah.







« Ce matin, il fait beau, la maison est plongée dans le calme. Les oiseaux retiennent leur souffle alors que le soleil se lève, timidement d’abord, puis d’un coup. Dans la cuisine, les rideaux flottent doucement, tout est à sa place ; les chaises en bois ancien, la table un peu penchée à force d’avoir été déplacée, la vaisselle, en vieille porcelaine, bien au chaud dans son placard. Au dehors, les fleurs se réveillent. Elles étirent leurs pétales et les déploient. Le chardonneret qui vient de passer s’arrête un instant pour admirer le jardin qui se tâche de couleurs : rose profond, orange éblouissant, jaune de ses plumes. Il se dit qu’il aurait bien voulu en faire partie. »

Voici un exemple de ce qu’on appelle « le réalisme magique », oxymore ou paradoxe, comment peut-on être à la fois réaliste et magique ? Si la littérature pouvait se poser une question existentielle, celle-là serait d’à-propos.

Mais alors, qu’est-ce que le réalisme magique ? Est-ce une affabulation ou un marqueur identitaire ? Sa jeunesse et son évolution littéraire, qui s’origine en Amérique Latine en fait plutôt un indicateur identitaire qu’une fantaisie, et pour cause : lieu de brassage ethnique mais aussi creusée révolutionnaire, s’inspirant à la fois du marxisme et des révolutions ouvrières, et des mouvements identitaires de l’époque : l’Amérique Latine a permis la jonction entre le réalisme socialiste à la Gogol et les quêtes identitaires du mouvement négrier à l’Aimé Césaire.

Un brin d’histoire, un soupçon de définition :


Nous sommes en 1925. La peinture européenne, largement dominée par l’impressionnisme et l’expressionisme est minutieusement décortiquée par le célèbre critique allemand Franz Roh.
Il sera le premier à parler de « réalisme magique » dans son livre Nach-expressionismus, Magischer Realismus : Probleme der neuesten europäischen Malerei, en y classant les peintres tels que André Derain, Georg Schrimpf, Jean Metzinger, Othon Coubine, Carlo Mense ou encore Auguste Herbin.
Mais loin de ne s’arrêter qu’à la peinture, la littérature s’imprègne elle aussi de cette nouveauté. Les mots voyagent vite et en 1928, le livre de Roh est traduit en espagnol et fait vibrer l’Amérique latine. Le « realismo mágico » se place ainsi au cœur de la littérature latino-américaine notamment lorsque Hombres de maí z(Hommes des maïs) vaut à son auteur, Miguel Ángel Asturias le prix Nobel de littérature en 1967. Rappelons que ce genre romanesque, en dépit de son aura universel au cours de la seconde moitié du XXème siècle devient presque exclusivement, en Amérique Latine, le genre de sa littérature naissante, au point de n’être associé qu’à elle.
Cependant et avant toute chose, il est nécessaire de comprendre que le réalisme magique n’est pas un terme à attribuer à n’importe quelle littérature qui désire faire rêver, ce serait amoindrir de son importance et déformer son utilité. En effet, ce courant littéraire est avant toute chose né du « désir de nombreux intellectuels post coloniaux de reprendre possession de leur monde originel par l’intermédiaire du langage » (J-P. Durix).
Pour Franz Roh, il constitue un moyen de rejeter l’idéalisme et l’expressionisme, tout en étant un retour à une certaine objectivité. Le réalisme magique ne décrit pas un monde fantaisiste, au contraire : il ajoute de la couleur à la pâleur du réel qui fait que le texte appartenant à ce genre romanesque est soumis à des conditions précises qui témoignent de sa nature. Par exemple, il revient à chaque fois l’idée d’un thème aux traits réalistes combinant des éléments « magiques » et « impossibles à reproduire dans la vie réelle ».
Et dans la littérature latino-américaine, ces traits réalistes sont le plus souvent liés à l’errance identitaire de l’époque due aux révolutions qui secouaient le continent : entre vestiges du colonialisme, expansion du marché des narcotiques et affirmation de la négritude, les gens étaient pris dans un tourbillon d’événements et se sont retrouvés piégés dans une réalité bien trop dure pour leur être agréable, d’où la nécessité de « la magnifier ».
L’histoire, le plus souvent, se déroule dans un espace minimal, où tout repose sur ses personnages. Ces êtres parfois excentriques, rêveurs, presque « fous », ayant une vision unique de la vie se retrouvent capable de résoudre des problématiques généralement rattachées à la réalité politique et sociale de l’Amérique Latine, telles que la misère et la marginalisation, la violence et les interdits de l’époque. Le réalisme magique survient alors comme la réponse parfaite pour les auteurs qui vivaient dans un pays sous le joug d’un régime dictatorial, où la censure, sévère, pouvait les envoyer en prison, voire les condamner à mort.



Gabriel Garcia Marquez et ses cent ans de solitude :



Parmi les représentants du réalisme magique revient souvent le nom de Gabriel Garcia Marquez, un des plus grands auteurs du XXème siècle et véritable emblème de la littérature latino-américaine. Écrivain prolifique, ses livres sont traduits en plusieurs langues et dans de nombreux pays, il est impossible de rentrer dans une librairie sans y retrouver son nom.
L’affectueusement surnommé « Gabo » n’est pas seulement un écrivain, non, mais aussi un fervent militant politique. Armé de son imagination fertile, il dépeint une Amérique latine empreinte de lyrisme avec comme source d’inspiration son enfance, ses rêves, la situation tragique de son pays ainsi que ses drames familiaux. Ses livres abordent pour la plupart les thèmes de l’amour, la solitude, la violence, la mort et le tragique et reflètent la vision qu’il a de ce monde ; il est ironique, cynique et résigné.
Une minuscule pièce emplie de fumée, les bruits réguliers et réconfortants d’une machine à écrire, la solitude la plus complète ; c’est dans cet environnement là que Cent ans de solitude, considéré comme le chef d’œuvre de Marquez fut rédigé. Paru en 1967, il a valu à son auteur le Prix Nobel de Littérature en 1982. William Kennedy, écrivain et journaliste américain en parle d’ailleurs en des termes élogieux, et la considère comme « première œuvre depuis la Genèse dont la lecture est indispensable à toute l'Humanité ».
Le roman suit l’histoire de génération en génération de la famille Buendía depuis la naissance du village imaginaire de Macondo, où ils résident. Le principal thème qu’aborde le livre est la solitude à laquelle tous les personnages de la famille Buendía sont confrontés suite à une malédiction. C’est d’ailleurs dans ce livre que Marquez va s’essayer à un nouveau genre qui allie le fantastique, le merveilleux au réel, en incorporant aux événements quotidiens de la famille des éléments magiques qui pourtant s’inscriront dans la banalité de leur existence. Aucun des personnages ne manifestera un étonnement quelconque face à l’impossibilité ou « l’irréel » de ces petits « miracles ». On retrouve également dans la description des paysages et des décors une certaine exagération et une grande poésie, sans pour autant déroger à la principale règle du réalisme magique : Marquez relate des faits historiques colombiens ; les guerres civiles liées aux conflits politiques et les massacres qui eurent lieu à l’époque.
Prédictions, résurrections, confusion entre le passé et le présent ou encore grandioses inventions, l’auteur crée des situations plus improbables les unes que les autres afin d’inviter le lecteur à l’accompagner dans son monde subjectif et subjuguant, où l’incroyable côtoie le banal et se fond dedans. Et c’est dans une fresque familiale emplie de magie que Gabriel Garcia Marquez dresse un portrait touchant de réalisme de la situation des villages ruraux d’Amérique du Sud.

Conclusion : 


En somme, le réalisme magique nous ouvre les yeux sur un réel que nous ne connaissions pas, un réel que nous ne voyions pas mais qui pourtant, est là sous nos yeux. Il décrit ce qui aurait pu être si le réel n’était pas aussi concret, voulant l’alléger, l’adoucir, le refuser tout en l’étreignant. Il met des mots là où ils n’auraient pas dû l’être, émerveillant les descriptions, les embellissant tout en y restant étrangement fidèles. Le réalisme magique, comme nous pouvons le lire dans les œuvres de Garcia Marquez, brise le maléfice aux frontières des différences, sublime le réel et réalise le magique. C’est dire que, si l’art de la rationalité sème le paradoxe, l’art dans toute son expression les fonde dans l’unicité poétique de notre humanité.

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