L'Algérie vue du Van!

Interview de Rahim Khelassi et Krimat Mohand Chérif
                                  Par Amina Rahmani
E'chikh, voilà comment ces dix amis et étudiants appellent leur van. Un véhicule qui leur permet, depuis maintenant un an, de sillonner les routes algériennes afin de découvrir les pépites géographiques de notre si vaste pays:
"On voulait connaître notre pays! Nous rêvons tous de découvrir le monde, assoiffés d'exotisme, alors qu'il y a tant d'endroits surprenants à voir chez nous", "avant d'explorer le monde, il faut commencer par la base, qui est bien sûr notre propre pays", voilà donc ce qui a motivé ces jeunes à se lancer dans cette belle aventure.
"On avait l'habitude au lycée, déjà, de faire des sorties barbecue sur la plage et de voyager ensemble, ou séparément, en utilisant les moyens de transport classiques. Mais au fur et à mesure que le temps passait, l'envie d'avoir un véhicule à nous se faisait de plus en plus ressentir et l'idée a commencé naturellement à germer dans l'esprit collectif".
Passionnés de voitures anciennes, ils n'ont pas hésité quand ils ont trouvé ce modèle de van à moteur neuf chevaux en vente: " dès qu'on l'a vu, on a su qu'il était fait pour nous, on peut dire que nous sommes vraiment tombés amoureux".
Et amoureux, ils le sont. On peut le voir à la passion avec laquelle ils nous racontent leurs premiers pas dans cette épopée: " le van n'était pas délabré, cela dit, il était vieux. Donc avant toute chose, nous voulions être sûrs que non seulement il était en état de marche, mais aussi et surtout, qu'il ne présenterait pas de risques une fois dans la circulation. C'est donc pour ça qu'on a changé beaucoup de pièces pour correspondre aux normes modernes de sécurité", nous explique Chérif.
Et bien chose faite! Après quelques mois à chercher des pièces, rares et difficiles à trouver du fait du manque de sensibilisation des gens sur la qualité et le potentiel de ces véhicules qui, pour la plupart, sont malheureusement revendus comme un tas de ferrailles alors qu'ils sont dignes d'une collection. Le Van était enfin prêt à sillonner les routes:
" On n'a pas pu attendre! Dès que nous l'avions récupéré, nous avons pris la route" raconte Rahim, les yeux pétillants par l'évocation de ce moment d'impatience et d'excitation.
Quand on leur demande quel est le meilleur et le pire voyage qu'ils aient fait à bord de leur nouveau compagnon, après un regard complice entre les deux amis, un éclat de rire résonne et emplit l'atmosphère douce de cette belle après-midi ensoleillée:
" Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, le pire voyage a fini par devenir le meilleur. On est parti faire une sortie dans l'ouest: commençant par Gouraya, nous avons parcouru à peu près mille-deux-cent kilomètres en neuf jours, passant par Tipaza, Chlef, Ain Témouchent, Mostaganem (dans une forêt appelée "El khadra") puis Oran. Et c'est là, à mi-chemin, que le drame s'est passé; en effet, le moteur s'est arrêté! Nous étions dévastés, l'aventure allait s'arrêter là, à vingt kilomètres de la ville"
Mais cela était sans compter sur la solidarité légendaire qui caractérise le peuple algérien et la chance qui accompagne toujours les passionnés dans leur dévouement:
" nous avons quand même eu la chance, si on peut dire, de tomber en panne dans une région où ce genre de véhicule était plutôt courant, alors on nous a ramené le mécanicien "Houcine" (qu'on salue chaleureusement ), qui a démonté le moteur et s'en est allé le réparer, de ce fait, nous nous sommes retrouvés seuls au bord de la route, dans un coin un peu perdu, loin de chez nous, nous y sommes restés cinquante-trois heures, à ne rien faire à vrai dire, rien d'autre que méditer sur la situation peut être, n'osant même pas se regarder les uns les autres, il faut dire que nous avions craint le pire à ce moment-là. Finalement, tout s'est bien passé et une fois le moteur de nouveau en marche, nous avons repris notre voyage, et avec nous, celui qui l'a littéralement sauvé, Houcine".
C'est surprenant comment ce qui s'apparente à une catastrophe, peut se transformer en une nouvelle amitié et aventure mémorable. Mais comment faites-vous pour organiser vos trajets? Vous êtes-vous déjà perdus ?
" Ma tetbaharch ya kho fi El Djazair ! Il ne faut pas être pressé quand on voyage avec le van, mais plutôt prendre le temps d'explorer. Bien sûr il y a les circuits que nous connaissons déjà. Parfois, on se renseigne au près des locaux, avant de camper ou d'aller quelque part, et il nous est arrivé d'indiquer aux gendarmes notre emplacement. Mais le fait d'aller vers l'inconnu est un délice, tu découvres des régions, tu découvres des gens, et te rends compte que les impressions et idées préconçues qu'on a sur certaines choses sont vraiment infondées et s'écroulent dès que tu vois que cet inconnu sur lequel tu pourrais avoir des préjugés, t'ouvre sa porte et même avec des moyens très modestes, t'offre l'hospitalité et t'accueille à bras ouverts".
En parlant de l'inconnu, beaucoup de personne rechignent et hésitent à s'aventurer loin des sentiers battus, par peur de ce que l'on entend sur le terrorisme et la criminalité:
"Au cours d'aucun de nos périples, dans aucun des lieux où nous nous sommes aventurés, n'avons-nous eu un problème de ce genre. Nous n'avons jamais craint pour notre sécurité, on a dormi sur des plages désertes, dans des villages isolés et même en plein milieu d'une forêt dense où il n'y avait rien, à part peut-être des loups, mais ça c'est une autre histoire..."
"Les algériens devraient non seulement investir, mais aussi et surtout, s'investir dans le développement du pays. Nous nous mettons nous même dans des embargos, si on arrivait à instaurer la culture du tourisme local à travers tout le territoire, il n'y aurait plus ce genre d'idées reçues, et donc aucune raison de s'inquiéter".
Cela serait non seulement un bond en avant dans la mise en valeur du potentiel touristique de l'Algérie, mais le serait également dans la sauvegarde et la préservation des ressources naturelles faune et flore comprises, qu'en pensez-vous ?
"Nous encourageons fortement les gens et surtout les jeunes, à partir à la découverte. il y a des coins surprenant comme la ville d'El Malah (Ain Témouchent) qui a gardé le style colonial. On dirait que le temps s'est arrêté et que rien n'a changé depuis, ça lui donne un cachet unique. Il y a aussi des plages comme Moscarda (Marsa Ben M'hidi - Tlemcen) où on a passé une nuit à la belle étoile, ou les grottes de Ben Aad dans la même région, le lac noir (Akfadou) sans parler  du désert, des montagnes et des plaines, notre pays est non seulement vaste mais aussi varié que pourrait l'être nos envies d'évasion".
Si vous deviez choisir un seul endroit, de tous ceux que vous avez vus, ce serait lequel?
"Le van!" s'exclament-ils.
Avant de reprendre:" impossible de choisir, chaque lieu à ses spécificités, c'est ce qui fait la beauté et la diversité du pays, qui est d'autant plus beau vu du van, comme si les dimensions de l'espace-temps changeaient, on voit tout différemment c'est vraiment magique, c'est d'ailleurs de là que vient le principe de "l'Algérie vue du van".
Et les gens, comment réagissent-ils à votre passage?
"Ils sont surpris, au début ils nous regardent, perplexes, ils trouvent ça un peu bizarre, car le véhicule a un look plutôt atypique, mais dès qu'on klaxonne c'est l'euphorie général, grâce au son vraiment unique et reconnaissable entre mille du van. Une fois, à notre passage de retour par un barrage, les gendarmes nous ont fait nous arrêter, rien que pour pouvoir réentendre le fameux klaxon devenu légendaire. En définitive, on est toujours chaleureusement accueillis"
Parlons logistique, comment gérez-vous, en tant qu'étudiants, le travail, les études et les sorties du point de vue temps et moyens financiers ?
"on prévoit un budget global pour chaque sortie (pour la nourriture surtout) et bien sûr un extra en cas de problème, pour cela, nous cotisons, grâce à la bourse, les petits boulots, des économies et des aides par ci par là, on est polyvalent et tous investis, donc dès que l'un de nous a du temps, il se charge de quelque chose, et bien sûr nous procédons par étapes, une chose à la fois et selon la nécessité, c'est pour ça qu'on aimerait donner du courage à ceux qui n'ose pas se lancer, surtout les jeunes, à cause de l'aspect financier de la chose, il ne faut pas avoir peur, ni se dire qu'il faut faire un prêt bancaire ou être riche pour faire ça, petit à petit, avec les moyens du bord, de la patience et beaucoup de passion et de motivation, on peut le faire, on peut tout faire."
Connaissez-vous d'autres passionnés ?
" il y en a quelques-uns effectivement, avec le même modèle de van que nous, et des rassemblement de passionnés et de collectionneurs de véhicules atypiques ou anciens commencent à s'organiser. Le "Draria meeting club" est le premier de ce genre au Maghreb pour les voitures classiques".
Mais quand on est des jeunes passionnés et enthousiastes, impliqués dans un projet collectif, comment gérer les potentiels conflits qui pourraient se déclencher au sein du groupe ?
" Nous sommes d'abord amis, c'est cette complicité qui nous a poussé vers cette initiative. Alors quoi que puisse être le désaccord ou si l'un de nous propose une idée, nous en discutons tous ensemble et nous réglons la situation par le vote. On peut dire que nous avons adopté un système très démocratique...à part peut-être pour le choix de la musique, qui est sous la responsabilité du copilote exclusivement, et il faut avouer qu'à chaque fois, celui à qui incombe cette tâche est plutôt sous pression" ajoutent-ils amusés.
C’est la musiques qui rythme les voyages et donne la cadence, projetez-vous d'organiser des sorties ou excursions avec des personnes extérieures au groupe? Y pensez-vous pour rentabiliser le van? Et des sorties mixtes ou exclusivement féminines, seraient-elle possibles à votre avis (du point de vue sécuritaire)?
"ça serait notre prochaine étape, pour d'abord partager notre passion; faire découvrir l'Algérie à travers un moyen de transport peu commun, et avec de petits groupes. En sélectionnant les lieux, il n'y aurait aucun problème pour les filles de le faire. Ensuite, de potentiels bénéfices pourraient venir de la médiatisation du concept à travers des réseaux sociaux comme Instagram ou YouTube (avec des vlogs) ou encore du sponsoring, mais tout serait directement réinjecté dans l'amélioration et l'entretien du van. Cela dit, ça ne serait pas pour le moment car on souhaite d'abord en profiter nous-mêmes et gagner de l'expérience car c'est beaucoup de responsabilité, puis par la suite, pourquoi pas en acquérir un deuxième pour agrandir la famille".
Quelle serait votre destination rêvée?
"En Algérie: le grand Sahara côté Djanet, en Afrique: la Tanzanie, et dans le monde: l’Australie"
Dernière question, que pouvons-nous vous souhaitez pour le future du van?
"Et bien de bons voyages...!".

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