La lenteur, cet antidote de l'urgence.


On me propose un petit voyage.
Je suis excitée. Des flashforwards me bombardent, de comment le voyage serait potentiellement. Mon excitation se fane. J’ai assez voyagé pour pouvoir en extrapoler et simuler un autre. Celui-là donc, je l’ai vécu en une minute. Je finis par annuler. J’envie les gens d’antan, dont les voyages pouvaient durer des mois et les garder dans l’enthousiasme --ou l’appréhension, peu importe, pourvu que ça dure.
Tant d’aspects de la vie sont contaminés dans l’ère de la vitesse. J’ai peu vécu, Ô combien si peu ! Mais tellement vite que la répétition s’est installée. Une répétition fade, un éternel retour dont on garde le souvenir amer, que j’en ai perdu la volonté de vivre encore. Je suis contaminée aussi. Voyez-vous, je suis impatiente. Rien ne me semble digne de mon engagement. Il suffit d’y penser, de se projeter dans toute quête en une série de ‘pourquoi’ pour en désarmer la plus noble. Pourquoi faire puisque tout est si éphémère ? Ce qui en reste, c’est un être sans volonté. Même la musique m’assaille. Ces rythmes me pressent. J’ai besoin de temps pour apprécier enfin, de temps pour respirer ! Heureusement qu’il y a la musique classique, avec ses notes à la lenteur berceuse. On sent la discontinuité entre elles, la discontinuité entre les instruments mécaniques. Elle s’étend pour celui qui saura y prêter attention. Le jazz également, et combien il est si discret. Ou encore, les chants chrétiens, et combien ils sont si pesants.
Prendre son temps semble un acte de rébellion dans cette ère de la hâte. "Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu? Ah, où sont-ils, les flâneurs d’antan ? Où sont-ils, ces héros fainéants des chansons populaires. Ces vagabonds qui trainent d'un moulin à l'autre et dorment à la belle étoile ?".* Je me laisse aller à mes rêveries romantiques d’un temps où un voyage pourrait durer des mois ; où une ville à quelques heures de chez moi aujourd’hui, aurait été assez lointaine dans le temps jusqu’à étirer l’espace même pour que je puisse la couvrir de mon imagination. Est-ce ainsi que la nature veut que la valeur des choses se mesure ? Par la longueur des efforts requis ? Ce serait si facile, si beau. Il m’importe peu que les ambitions soient grandes ou petites. Je veux être entrainée longuement ; enracinée dans la pesanteur des choses. Puisque l’espoir ou le bonheur ne perdurent pas dans la légèreté. Que le désespoir et le malheur perdurent alors ! Mais même eux passent à la hâte. Il suffit de quelques news, acquises en une seconde via un smartphone et tout bascule --d’un côté ou d’un autre, peu importe. Pour fuir cette malédiction, j’ai trouvé refuge dans la philosophie. Ses mystères ont le charme de se perpétuer, de persévérer au-delà des vies des générations et générations de philosophes qui les ont entrepris. Que c’est doux de penser que leur âge se mesure en durées de vie des civilisations. Je suis toujours atteinte évidemment : j’ai soif de réponses.
Mais le savoir résiste à mes impulsions. Le chemin est long, très, très long. La liste des sujets s’étale infiniment. Les bouquins s’entassent à en perdre la vue. Et les idées se mêlent en une marche à la destination lointaine. Il s’agit de ce moment orgasmique, mystique de concentration qui nous fait entrer en état de transe. Soit-il un problème technique, un roman, ou une idée philosophique, il élude notre compréhension nous entrainant dans une chasse interminable.
*La Lenteur , Kundera, 1995.

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