La langue et la pensée


                            La Langue et la Pensée

                                                                          Halima DEKKICHE






Le langage est le miroir de notre âme et de notre pensée. Il est l’élément essentiel des échanges de communication entre les individus, et indispensable à l’organisation et le fondement de la société. Le langage est véhiculé à travers les mots, dont le support verbal est le moteur prévalent ; des mots qui viennent de différentes cultures, formant plus de 7000 langues à travers le monde. Chaque langue à son tour connait plusieurs variations et comporte différents niveaux de communication. En effet, une même langue peut différer d’une région géographique à une autre, constituant des dialectes. Une même langue peut aussi différer d’une classe sociale à une autre, renfermant un jargon inaccessible aux autres classes, constituant des sociolectes. Enfin, une même langue peut différer d’une per- sonne à une autre et être propre à chaque individu dans ses expressions et les mots qu’il emploie dans son langage courant, constituant ainsi des idiolectes.

La langue, si hétérogène ! 

Dans ce vaste univers de richesses et de nuances linguistiques, l’être humain réalisa l’immense pouvoir de cet instrument de la pensée qui lui permit de façonner, par son hétérogénéité, les codes et relations dans les écoles, les lieux de travail, les institutions étatiques et même dans le domaine journalistique par la discrimination ou la stigmatisation. Ce phénomène a pris dans la terminologie française le mot de « glottophobie », apparut pour la première fois par le socio- linguiste français Philippe Blanchet dans son œuvre « Discriminations : combattre la glottophobie », où il décrie ces actes injustes et racistes qui touchent et causent l’exclusion et la marginalisation de millions de personnes dans le monde.
Face à tous ces métissages et variations linguistiques au sein d’une même société, on trouve la langue standard qui unifie ces différences, modulée au fil des siècles par des auteurs, des intellectuels ou par des institutions académiques linguistiques qui ont pour but de perfectionner et de normaliser cette langue qui représente les normes d’usage et d’utilisation la plus répandue de la langue. En effet, dans la vie de Tous les jours, les échanges de communication interhumaine s’inscrivent dans une logique syntaxique et sémantique régie par des règles grammaticales bien définies, uniformisées et standardisées, tendant à homogénéiser toute la composante linguistique. De surcroît, il serait important de souligner la valeur symbolique, artistique, littéraire et intellectuelle de la langue standard dans les actions politiques, la création intellectuelle et la transmission orale des valeurs séculaires de génération en génération.

L’état et la langue officielle :

Chaque état opte pour une langue nationale et officielle, qu’il constitutionnalise et institutionnalise pour son usage dans tous les actes et procédures administratives, judiciaires, législatives et sociales. Cette langue se rapproche souvent de la langue maternelle dont la majorité des habitants d’un pays font usage. De même, l’on peut trouver plusieurs langues officielles dans les pays qui ont un plurilinguisme important (13 langues officielles par exemple en Afrique du sud).
L’histoire retiendra la polémique qu’a suscitée le choix de la langue officielle dans la Grèce antique, et qui ne fut résolue qu’à la fin du 20 ème siècle. En effet, le Katharévousa (ancienne langue grecque expurgée de toute empreinte turque ou italienne) a été choisi comme langue officielle alors qu’il était minoritaire dans son usage dans la quotidienneté de la communauté grecque de l’époque, largement supplantée par le grec moderne. Le problème ne sera définitivement résolu qu’en 1976, après l’adoption par la Grèce du grec démotique (moderne) comme langue officielle, mettant ainsi fin à deux clans linguistiques influents.

Qu’en est-t-il de la pensée ? 

Les richesses et variantes linguistiques dans une société ne sont que l’expression intuitive ou élaborée de nos pensées et de nos états d’âme. Les publications scientifiques les plus marquantes, les œuvres littéraires les plus envoûtantes et les penseurs les plus ingénieux doivent l’excellence de leur création et la
pérennité de leurs travaux, à l’usage du langage transcrit ou exprimé, qui est le témoin majeur de la richesse et la fertilité de leur pensée.
En effet, le philosophe allemand Friedrich Hegel explique que la pensée n’est pas séparée de la réalité extérieure, et qu’elle ne se déroule et n’existe qu’à partir des mots, d’où sa déduction que l’ineffable n’est qu’un défaut de pensée ; un défaut qu’il a décrit de « pensée obscure » et « fermentée », et que si la pensée était claire et vraie, les mots l’auraient suivie systématiquement puisque d’emblée nous pensons en mots. Dans un texte, il écrit : « C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective... L’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. »
Hegel ne fut pas le seul à penser ainsi. Le philosophe français Clément Rosseto, à son tour, dit que « là ou manquent les mots pour le dire, manque aussi la pensée ». On peut prendre comme simple exemple le mot « la neige » qui a 3 synonymes dans la langue des esquimaux, un seul en anglais, et il n’en existe aucun mot qui la désigne dans une langue africaine en Afrique du Sud, puisque cette dernière n’occupe guère leurs pensées.

La novlangue, l’hypothèse :

Reste la notion de la novlangue, inventée et explicitée dans le livre « 1984 », de l’écrivain George Orwell, qui est l’exemple le plus vivant expliquant l’influence que peut imprimer la langue sur la pensée de l’homme. Ce roman « 1984 », est une histoire dystopique, qui se passe dans l’Océania, un pays où le régime est dictatorial, totalitaire et autoritaire, privant le peuple de toutes les libertés fondamentales notamment la liberté de penser et de s’exprimer. Ce régime trouve son exutoire dans la novlangue, une langue inventée aux contours limités dans son élaboration, pour can- tonner la pensée du peuple dans des espaces réduits et instinctuels, l’éloignant des pensées revendicatives et d’affranchissement contre le chef du parti « The Big Brother ».
Heureusement que cette hypothèse n’est pas une règle générale, sinon comment explique-t-on la pensée non verbale dans les mathématiques ? La langue s’acquiert-t-elle à partir de l’enrichissement et de l’élargissement d’un vocabulaire qui constituera le socle sur lequel s’érige la pensée ?
L’approche scientifique dit son dernier mot à ce sujet, à travers les travaux du neuropsychologue Roger Sperry, affirmant que la pensée reste très per- formante sans le langage. Dans son expérience, il a séparé l’hémisphère cérébral gauche (responsable du langage) de l’hémisphère droit ; ce dernier continua à fonctionner, l’amenant à déclarer : « Clairement, l’hémisphère droit perçoit, pense, apprend, et se souvient, à un niveau tout à fait humain. Sans le recours du langage, il raisonne, prend des décisions « cognitives », et met en œuvre des actions volontaires nouvelles. » Des travaux remarquables qui lui ont valu le Prix Lasker en 1979 et le Prix Nobel de physiologie en 1981.

Conclusion :

 L’homme se distingue des animaux par sa faculté de penser et de raisonner, mais aussi par sa capacité efficace de communiquer avec les êtres de son espèce grâce au langage. Entre la pensée et le langage, l’ineffable et le dit, une large frontière s’impose ; une frontière que seuls les mots peuvent franchir.

Références:

 http://www.bibliomonde.com/donnee/grec-moderne-his- toire-langue-l713.html http://laphilodepicasso.over-blog.com/2015/02/sujet-et- corrige-d-une-explication-de-texte-de-hegel-sur-la-pen- see-et-le-mot.html https://www.cairn.info/revue-etudes-2001-3-page-345.html

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