Les auteurs à la source

Les auteurs à la source -
Interview de l'écrivain Monsieur Djawad Rostom TOUATI


Yanis AFIR & Nazih KOUIDRAT


Une équipe de la rédaction de la Rubrique Littéraire, a rendu visite à Monsieur Djawad Rostom TOUATI, qui a bien voulu accorder une interview à l’occasion de la publication de son premier ouvrage intitulé « Empereur nommé désir », et dont la teneur suit :


Parlez-nous un peu de vous ?

J'ai 31 ans, je suis instructeur sportif et j'ai fait des études d'économie. Je suis tombé dans la littérature dans ma jeunesse car j'avais une bibliothèque bien garnie, et mon père tenait toujours à me mettre un livre entre les mains.

Donc je me suis passionné pour ça, j'ai songé à écrire dans un premier temps mais c'était une vision trop narcissique de la littérature, et puis, pour reprendre FANON j'ai consciencisé mes intentions et mes motivations, et maintenant j'ai acquis assez de maturité pour produire quelque chose qui s'inscrit dans mon époque et qui puisse servir pour comprendre certains phénomènes sociaux contemporains.


Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées en tant que jeune auteur ?

La majeure difficulté était l'orientation au niveau des maisons d'édition, je ne savais pas vraiment comment faire pour déposer le manuscrit, ni à qui m'adresser, en dehors des deux ou trois cadors bien connus et qui ne sont pas forcément accessibles. Mais une fois que je me suis bien renseigné, j'ai fini par me faire repérer par l'ANEP et j'ai publié.


Qu'est-ce qui vous pousse à écrire et quelle impact voulez-vous avoir ?

D'abord j'écris par passion, c'est un énorme plaisir d'écrire, c'est même un amusement parfois, j'espère que ce plaisir se retrouve à la lecture ; ensuite, c'est aussi pour produire une culture nationale et donner une nouvelle vision de la littérature algérienne et de l'algérien lui-même.


Votre livre est le premier d'une trilogie appelée le « culte du ça ». Que pouvez-vous nous dire sur les deux autres volets ?

C'est un clin d'œil à la trilogie de BARRES « le culte du moi » qui faisait l'apologie de l’individualisme ; un individualisme bien plus élaboré que celui-ci, moderne et consumérique, qui est un culte du ça. Cela veut dire un culte de la pulsion.

Cela repose sur l'idéologie du désir et sur le fait de nous dire que la liberté c'est d'assouvir tous ses désirs et de regretter toute instance morale qu'elle soit religieuse ou sociale. Mais comme le dit CLOUSCARD « dans la société capitaliste tout est permis mais rien n'est possible » car cette perversion des mœurs s'accompagne d'une oppression de la masse.

Du moment que très peu de choses sont possibles nous sommes réorientés vers la marchandise. Au final, cette sollicitation des pulsions ne sert qu'à exciter le rapport passionnel à la marchandise

« Il fut un temps où le septième art s’inspirait de la littérature. Maintenant, c’est la littérature qui reprend les codes du cinéma, avec des dialogues très directs, des personnages ayant très peu d’épaisseur, ainsi que beaucoup d’intrigues et de rebondissements. Tout cela dans un souci de solvabilité ».

« “La culture”, songea alors Nadir, est, à beaucoup d'égards, comme le pouvoir : trop d'esprits nobles – faute de circonstances favorables – n’y ont pas accès, quand trop d'imbéciles qui en sont pourvus, sont – comme les détenteurs de pouvoir – si infatués de leur ego mesquin qu'ils réduisent culture – et pouvoir –, dans leur obsession de dilater leur moi atrophié, à une farce ridicule, un sordide vaudeville. »


Dans votre livre, on constate que vous alliez prose et poésie, comptez-vous écrire de la poésie?

J'ai commencé à la base par la poésie, je ne pense pas publier un recueil mais plutôt écrire, comme je l'ai fait, en accompagnant la prose.


Quels sont les trois auteurs qui vous ont le plus influencé?

Chronologiquement : MONTHERLANT, PROUST et FLAUBERT. Ensuite, dans le cadre d'écriture nationale, j'ai été beaucoup influencé par Mouloud MAMMERI, notamment pour le côté romanesque et technique. Et enfin, FANON m'a influencé pour l'actualité du discours à promouvoir.


On retrouve imbriqué dans votre livre des points de vue sur la révolution, l'art contemporain, ainsi que des sujets cruciaux, pensez-vous que le roman, en plus de divertir le lecteur doit servir à l'instruire ?

La tâche principale du roman est de reproduire le réel, une réalité esthétique, ensuite comme disait GRAMSCI « l'art instruit en tant qu'art » et non pas en tant qu'art éducateur ; c'est-à-dire que du moment où l’on a cette volonté d'éduquer, on commence à professer et on tombe dans un certain dogmatisme. Il s'agit juste de reproduire le réel ; et en offrant ce recul au lecteur, il pourra appréhender le réel en tant qu'objet scientifique et non plus en tant qu'expérience vécue et donc le plus souvent inconsciente.


Votre premier livre est en soi une critique et une satire d'un certain genre de littérature qui a très fort succès, quel est le rôle de l'intellectuel dans ce rôle critique ?

Ce que je pense être primordial par rapport à cette littérature, c'est de décortiquer les mythes impérialistes qui sont recouverts de guimauve. En fait, dans le roman de gare, ce qui gêne, ce n'est pas « je t'aime, murmura-t-il », c'est que cette littérature recouvre des mythes impérialistes, et donc le travail de l'intellectuel et du critique littéraire, et pourquoi pas du romancier qui produirait un contre roman, c'est de révéler ces mythes et le rôle pernicieux que joue cette littérature.


Comment sommes-nous arrivés là ?

Par ce que FANON appelait l'imposition culturelle, c'est-à-dire de ne concevoir le succès qu'en produisant un discours dominant et d'employer son talent à reformuler et à magnifier ce discours.


Comptez-vous vous limiter au domaine du roman ou vous diversifier vers les autres domaines de la pensée ?

J'ai l'ambition de toucher à pas mal de choses, le théâtre m'intéresse, et in fine je pense que j'écrirais des essais, j'ai en tête quelques projets mais qui nécessitent beaucoup de travail.


Un mot pour les lecteurs et les futurs auteurs ?

Soyez honnêtes, sincères et ouverts à la critique. Et surtout, ne jamais se poser comme au-dessus de sa culture.

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