Tacfarinas, l’Appel de la Patrie

Chronique : Espace Méditatoire pour Névrosés
Tacfarinas, l’Appel de la Patrie


Nazih Mohamed Zakari KOUIDRAT



Dans la chronique « l’Espace Méditatoire pour Névrosés », des résumés et des synthèses de livres et d’essais sont exposés, dans l’intention de susciter et d’attiser la curiosité des étudiants pour le domaine des Sciences Sociales. La présente contribution se veut une invitation en direction des lecteurs à plonger dans une variété de sujets, susceptibles d’apporter des éléments de réflexion sur différents phénomènes de société.

Introduction

Le thème choisi cette fois-ci porte principalement sur l’oeuvre de l’illustre Ahmed AKKACHE, qui a voué toute son existence d’intellectuel à décoloniser l’histoire algérienne et à prôner un discours rassembleur autour des valeurs de l’unité nationale.

Contextualisation de la situation romaine

Suite à l’assassinat de l’empereur romain Jules César, une dispute chronique pour le pouvoir s’était déclenchée entre Marc Antoine, ancien lieutenant de l’empereur, et Octave, petit neveu et fils adoptif de César. Malgré les renforts égyptiens suite à son mariage avec la reine Cléopâtre, Antoine a perdu la guerre contre Octave durant la bataille d’Actium. De la sorte, Octave a pu se faire proclamer empereur, sous le nom d’Auguste.

Contextualisation de la situation Numide

Après les nombreuses résistances sous l’ère de Massinissa, premier roi de la Numide unifiée, jusqu’au règne de son petit-fils Jugurtha, l’ancien Royaume de Numidie qui se déployait du Sahel tunisien à l’oued Moulouya, était devenu quatre fois plus petit ; l’Est fut annexé à l’Africa et l’Ouest fut offert à Bocchus nommé roi de Mauritanie (Nord marocain) en reconnaissance de sa trahison de Jugurtha (beau-fils de Bocchus).

Se soumettre ou combattre ?

Afin de maintenir le pourvoir autocratique de l’empire, il a fallu une exploitation esclavagiste des régions colonisées, permettant de perfuser Rome et de juguler ses crises économiques : « Des milliers d’hectares furent arrachés aux paysans installés sur les plaines fertiles, notamment dans les zones du constantinois : Sétif, Aïn-Beïda, Batna. D’importants districts miniers et forestiers furent également constitués, pour l’exploitation de l’onyx, du marbre, du plomb argentifère. Des centaines de carrières s’ouvrirent à Aïn Smara (Constantine), Aïn Tekbalet (Tlemcen), dans le djebel Boutaleb (Sétif), Arsenaria (Ténès). » Evidemment, les numides furent réduits à l’esclavage souvent dans la terre même qui leur appartenait la veille. Il serait intéressant de souligner que même dix-huit siècles plus tard, la colonisation française n’a fait que se réapproprier les méthodes des romains.

Dans cette atmosphère morbide d’exploitation inhumaine, certains paysans numides se sont retrouvés avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ; atrophiés par la faim, mutilés par la peur de l’esclavage, ils s’engagèrent comme auxiliaires dans les armées romaines. D’autres âmes paysannes sincères et innocentes ont été recrutées après avoir cru au mythe civilisateur et à la bienveillance des lances romaines. Quant à Tacfarinas, il a fini par déserter le service militaire, en mobilisant avec lui quelques soldats numides, possiblement parce qu’indigné par les exactions subies par ses compatriotes ou alors contraint de participer à l’attaque d’une tribu parente.

De cette manière, aux environs de l’an 14 après J.-C. dans les montagnes du Constantinois (la chaîne des Nementcha), Tacfarinas a constitué un premier groupe armé à la tête duquel il projetait de venger les habitants de la région de Haïdra.

Il nous parait important de nous arrêter ici. Quel type de choc a bien dû subir ce paysan pour changer sa position d’une manière aussi radicale ; du légionnaire vers le Chef de la Résistance ?


« Haïdra » où l’art de la guerre à l’état pur 

Tapis dans l’ombre, cinq éclaireurs dont Tacfarinas pénétrèrent le Saltus1 et se faufilèrent entre les maisons jusqu’à l’esplanade de la villa du maître.

A travers une fenêtre, ils virent le chevalier Cathala avec ses hôtes devant les mets les plus délicats, servis par de jeunes esclaves presque nues : « Les convives, se tournaient vers un bassin de cuivre placé derrière leur lit et, s’introduisant une spatule dans la gorge, se forçaient à vomir pour vider leur estomac et y faire place aux nouvelles viandes et aux pâtisseries entassées devant eux. » Devant cette scène ignoble, les éclaireurs s’étaient attelés à prendre le repère des lieux afin d’ourdir la trame de leur attaque.

Deux jours plus tard, l’assaut fut donné… pas un seul soldat ne fut épargné ! et Cathala fut crucifié à l’une des croix où il avait condamné tant d’innocents.

Il y a lieu de relever par ailleurs, que les actions de Tacfarinas étaient souvent désignées de banditisme, alors que ses troupes ne faisaient que récupérer ce qui leur a été spolié, mettant leurs gains au service de la collectivité et non à celui du Chef « Ce qui était loin d’être le cas des généraux romains qui, de l’aveu même de leurs laudateurs, amassaient à la guerre des fortunes fabuleuses ».


Aveux d’impuissance de Rome 

Suite à l’adhésion de nouvelles recrues galvanisées par les succès, Tacfarinas devait adopter une forme supérieure d’organisation ; c’est ce que Tacite, l’historien romain, explique en ces termes : « Bientôt il sut les discipliner, les ranger sous le drapeau, les distribuer en compagnies. Enfin de chef d’aventuriers il devint général des Musulames2, peuple puissant qui confinait aux déserts de l’Afrique. »

En parallèle, Tibère beau-fils d’Octave lui succéda après sa mort et se trouva devant de nouveaux enjeux. D’abord, l’effectif des soldats ne suffisait plus en période d’insurrection. Ensuite, les légionnaires, s’étant aperçus que tous les butins revenaient aux généraux et à l’aristocratie, devenaient moins enclins à s’aventurer loin à l’extérieur où une mort certaine les attendait, au moment même où la croissance cyclopéenne de Rome nécessitait une exploitation drastique des colonies. De là, une méthode différente s’imposait.

En effet, au lieu d’assujettir de façon directe l’ensemble de l’Afrique, des protectorats furent créés comme celui de Mauritanie ; avant sa mort, Octave fit éduquer Juba II et Cléopâtre-Séléné (fille de Cléopâtre et d’Antoine), une éducation purement romaine et à leur majorité, ils furent mariés et élevés au rang de roi et reine de Mauritanie « Si ces deux rejetons de souverains détrônés reçurent l’aumône d’un royaume, c’est que leur éducation et l’emprise de Rome leur garantissaient leur fidélité à l’attache ».

Tibère continua alors sur cette voie et Juba II fut l’archétype de l’intellectuel latinisé qui est devenu par la suite plus romain que les romains.

Face à ce nouveau type de danger « local », Tacfarinas n’hésita pas à s’allier avec Mazzipa, chef des tribus mauritaniennes opposées à Rome. Ainsi, il appert que la mouvance Numide était une réelle révolution populaire et non une insoumission isolée.

Les indomptables musulames ont mené des assauts incessants contre les romains avec de nombreuses victoires grâce à des unités très mobiles qui assaillent furtivement comme l’éclair puis se fondent dans le bois.


Les erreurs, une école d’apprentissage 

En l’an 17, Tacfarinas a commis une erreur qui lui a coûté sa première défaite face à Camillus (proconsul romain d’Afrique). Au lieu de suivre leur technique habituelle, c’est-à-dire fuir l’armée romaine pour l’épuiser puis la contourner et l’exterminer, Tacfarinas a tenté une opposition frontale en rase campagne, alors que ses troupes n’étaient pas habituées à ce genre d’exercice. Cette armée qui a bataillé dans les champs du monde entier était extrêmement puissante quand elle combattait en formation, de plus, ce type de bataille ampute Tacfarinas de l’appui du peuple qui le soutenait par le biais de renseignements de ses Chefs et le ravitaillement des paysans ; l’efficacité de l’insurrection reposait sur une dualité de guérilla mobile et furtive, appuyée par la force populaire.


Victoire éclatante numide et humiliation romaine 

Dogme : Chez les romains, il est strictement interdit de se rendre devant un ennemi, à moins d’en recevoir l’ordre du commandant.

Commandé par le général Décrius, un fort stratégique romain a dû soutenir un long siège asphyxiant face aux Numides. Lors d’un moment crucial, le général était sorti au combat mais ses soldats ont fui face aux flèches pluviales des Musulames et leur abnégation
exemplaire.

L’humiliation était telle, que le nouveau proconsul Appornius avait ordonné de tuer tous les soldats survivants pour avoir déshonoré Rome par leur lâcheté. Il s’est également vengé en décimant des villages entiers n’épargnant ni femmes ni enfants ni vieillards. Grâce à des troupes élastiques, Tacfarinas répliquait par des attaques continues et disséminées sur toute la région « Il prenait la fuite quand on le talonnait, pour revenir très vite à la charge, se jouant ainsi des romains qui se fatiguaient inutilement à le poursuivre ».



Premier Document Officiel de l’Algérie 

Le génie de Tacfarinas résidait en ce fait qu’il réussit à rallier tout le monde au combat, malgré les survivances des instincts tribaux, autour d’idées embryonnaires sur l’Unité Nationale :

"Ecris ! reprit Tacfarinas : Peuple de Numidie, tes enfants te parlent. 
Debout pour défendre ton territoire.
Lève-toi !
Les Romains nous pillent et nous exploitent. 
Debout pour reprendre les terres de nos aïeux.
Vous tous qui préférez la liberté à l’esclavage, debout."

Estampé sur les coeurs et répété en choeurs dans tous les villages, Tacfarinas a transcrit sur papyrus le premier document officiel des prémisses de l’Algérie.


Un Peuple, une Patrie, un Idéal : Liberté 

Répondant à l’appel patriotique de Tacfarinas, des représentants numides ont rendu visite à l’empereur Tibère, qui pensait que leur venue était mue par un désir de capitulation. Cependant, les valeureux combattants au visage brun et à la barbe ténébreuse, nullement impressionnés par le faste du palais, firent torse bombé : « Au nom du peuple numide. Nous voulons des terres. Les terres qu’on nous a enlevées pour en faire des latifundia3 ou pour les donner aux colons. Nous voulons l’affranchissement de tous les Numides réduits à l’esclavage et la liberté pour tous. A cette condition nous sommes prêts à déposer les armes […]. Sinon… Nous lutterons de toutes nos forces jusqu’à l’extermination du dernier soldat étranger. Et si nous n’y parvenons pas nos fils y parviendront pour nous. Et si nos fils n’y parviennent pas nos petits-fils y parviendront pour eux. »

Ecorché dans son orgueil, Tibère ordonna de les arrêter ! Pour quel motif ? Offense en la personne de l’Empereur (ce que permettait la loi romaine).

Dès lors qu’il nomma Blésus comme proconsul, Tibère s’écria : « Il me faut cet homme, mort ou vif ! »

En Afrique, les soldats de Blésus furent dans une insécurité permanente matin et soir redoutant les assauts de braves paysans, menés par un redoutable guerrier et un fin stratège.

« J’offre un million de sesterces à qui me ramènera sa tête ! » annonça Blésus. Un million ! Somme qu’offrait Crassus autrefois pour la tête de Spartacus.

Ainsi, Rome avoue manifestement son impuissance ; devant l’impossibilité de soumettre militairement ces résistants, elle a eu recourt à des subterfuges démagogiques afin d’exploiter les faiblesses de la nature humaine ; technique, nous le rappelons, payante auparavant pour capturer Jugurtha.

Blésus ne tarda pas à constater que ni la force militaire ni l’or n’ont pu étouffer la résistance. Il se trouva contraint à faire des concessions en offrant des terres aux Numides pour lâcher les armes et une fois Tacfarinas isolé et neutralisé, il aura tout le loisir de revenir sur lesdites concessions.

Ayant refusé l’or de la trahison, certains combattants sont descendus du maquis pensant reprendre les terres de la victoire, sans léser Tacfarinas, voyant dans le geste des romains un signe de paix.

Profitant de cette nouvelle situation, Blésus orchestrera des expéditions sanglantes et des fouilles minutieuses à la recherche de Tacfarinas, laissant derrière lui des villages en cendre.

Vers l’an 22, Tacfarinas fut introuvable, Blésus le supposa mort et déclara à Rome que l’ordre est imposé en Numidie ; recevant ainsi les honneurs et le triomphe.


« Sparce bellum ! » : Il faut semer la guerre 

Pour reprendre Tacite « Déjà trois statues couronnées s’élèvent dans Rome : celle de Camillus, celle d’Appronius et celle de Blésus. Et pourtant Tacfarinas met encore l’Afrique sens dessus dessous ». Insaisissable comme jamais, cette fois-ci Tacfarinas surgit au coeur de la Maurétanie, où les tribus locales ont rejoint son mouvement populaire insurrectionnel.

Il attaqua la grande place militaire d’Auzia (Aumale-Sour el gouzelane), la ville tomba malgré ses importantes fortifications, « Il faut la détruire ! » hurlait Tacfarinas. Il avait une haine viscérale des villes, qui représentaient une néoformation tumorale où règnent les marchands et les riches qui persécutent le pauvre et le faible, là où « l’homme n’est pas le frère de l’homme mais est soit son maître soit son esclave ».


Un Phoenix peut-il mourir ? 

Vers l’an 24, des tentatives de libération de la ville de Thubusque (Oued Sahel) ont débuté, mais étant avertis de la venue de renforts, les rebelles ont préféré se replier et disparaitre vers la région d’Auzia. Ne se doutant pas qu’il serait suivi, Tacfarinas envoya des hommes en reconnaissance pour préparer de futures attaques, restant esseulé avec une petite cavalerie.

Les romains ont fini par retrouver leur trace, à cause de quelques trahisons, et ont lancé leur attaque le soir puis une bataille farouche s’alluma jusqu’au matin.

« Un million de = sesterces ! Un million de sesterces ! » répétait le proconsul Dolabella, venu en personne encourager ses troupes dans cette ultime rencontre.

« Venez les gagner ! » répondit Tacfarinas brandissant son épée en direction de Dolabella. Mais ce dernier était loin et bien caché derrière ses gardes.

Il était inconcevable pour Tacfarinas d’être prisonnier, conscient que pour l’ultime fois, il foulait le sol de sa terre bien aimée et inhalait son air pur. Allumé par cette lumière ardente du ciel qui emplit l’âme de ceux que quitte la lumière de la Terre, il tenta d’entrainer le maximum de vies avec lui ; couvert de blessures, se vidant de son sang, il continua à lutter encore et encore et encore, avec la rage et la force qui ne peuvent émaner que des enfants de cette Terre, Terre qui continue d’engendrer des grands hommes au souffle des héros qui ressusciteront à l’infini toutes les guerres pour vivre et mourir pour Elle.


Quel est l’intérêt de l’Histoire aujourd’hui ? 

La réponse est simple, l’Histoire est un continuum. En sus de son rôle de repère identitaire, l’Histoire se répète avec ses mêmes erreurs. Avec un livre à la main, nous n’aurons plus besoin de médias pour comprendre les évènements qui animent notre quotidien. En voici quelques enseignements non exhaustifs :

1. Le mythe de la mission civilisatrice et la Terra Nullius : Hier, la guerre se justifiait par la diffusion du savoir. Aujourd’hui, elle se justifie par la démocratie, les droits de l’homme et la paix dans le monde.

2. L’insurrection est soit du banditisme soit une libération tout dépend de la paire de lunettes avec laquelle elle est regardée.

3. Nouvelles techniques de domination : Hier, Rome promettait l’impunité à ceux qui trahiraient Tacfarinas. Elle offrit aussi de l’or et des Provences à des collabos locaux. Aujourd’hui, mus par l’appât du gain, la reconnaissance littéraire, sociale ou par un complexe du colonisé, beaucoup de nos bruns empruntent la voie « lactée » contre l’intérêt National.

4. L’Algérie n’est pas une invention de 66 ans : Sous le nom de Numidie, l’Algérie a bel et bien existé (le Sud compris !), avec un centre fixe et quelques fluctuations des frontières. Le peuple local, sous des noms différents, a continué, en tant que bloc historique, de faire son bout de chemin dans l’Histoire jusques aujourd’hui.

5. Le génie de Tacfarinas et l’Esprit du Peuple : ce héros national a su dissoudre les instincts tribaux et rassembler le peuple autour d’un idéal, pas une partie du peuple ou une classe encore moins une région mais tout le peuple jusqu’à l’oubli de soi, au service de l’Unité Nationale.

6. Quel que soit leur génie, un seul homme ou un groupuscule d’élite ne peut changer l’Histoire sans l’aval du peuple qui leur a donné naissance. Par le peuple et pour le peuple.


Références

- Ahmed AKKACHE - Tacfarinas
- Jean-Marie Lassère : Africa, quasi Roma.
1- Saltus : zones forestières.
2- Musulames : confédération de tribus berbères.
3- Latifundia : grand domaine agricole exploité extensivement par de riches propriétaires.

Référence de l'images

- https://www.look.com.ua/73752-risunok-bitvaart- pri-vtoraja-punicheskaja-voina-zame.html

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