L'Etoile Gravée

L'Etoile Gravée


Nabil GUERBOUKHA


L’auteur emprunte les yeux du jeune garçon « Malek » pour décrire le vécu d’une famille algérienne au temps de la guerre d’Algérie, dans un des villages des hautes montagnes de Kabylie nommé El-Meyen. Malek a 5 ans, vit avec ses parents et ses grands-parents. L’écrivain -représenté par le petit Malek- nous rapporte des souvenirs de sa petite enfance ; des images, des paroles et des scènes, tristes ou joyeuses, illustrant les traditions de la région. L’armée française arrive et jette ce petit monde villageois dans la guerre et la mort.


Malek et son village natal 

La famille de Malek vivait au sein du village, grandsparents, parents, oncles, tantes et cousins occupaient tous la même demeure, où le patriarche Ahmed, était le maître des décisions.

Au matin d’une journée de fin Aout 1956, à El-Meyen, c’est le début de la saison des figues, Malek et les autres enfants du village sont impatients de goûter à ce délicieux fruit de la région. Depuis plusieurs jours, ils ont respecté l’interdiction ancestrale de les cueillir quatorze jours après l’annonce de l’apparition de la 1ère figue mûre. Ce jour-là, toute la famille était réunie, y compris Athmane, le père de Malek, de retour de France. L’argent qu’il gagnait à l’étranger était partagé entre nourrir la grande famille et cotiser au front de libération.

Dans le chemin du retour de la figueraie, ils voyaient de loin leur village, El-Meyen, qui paraissait comme un conglomérat de maisonnettes, aux toits rouges très colorés, dressées au sommet d’une crête, à mille mètres d’altitude ; « D’où que tu viennes à El- Meyen, une montée t’accueillera. » Le minaret de la mosquée centrale du village occupe le point le plus élevé, duquel émettaient les appels sacrés à la prière, amplifiés par l’écho des montagnes avoisinantes, qui se dressent tout autour des vergers, des carrés de légumes et des petites parcelles de céréales tapissant le paysage. Ahmed montra de loin, et avec fierté, à Malek l’école du village. Une école française dans laquelle il ira prochainement acquérir du savoir, et précise que lui-même était acteur de son agrandissement une trentaine d’années auparavant.



Promenades avec les grands-parents 

Par ailleurs, Malek s’amusait souvent avec ses cousins et son petit frère à de multiples jeux appris la première fois des adultes. Il avait aussi le privilège d’accompagner ses grands-parents dans leurs sorties au village.

Parfois, il partait avec son grand-père à Thizi, la placette du village. Entre adultes, les discussions tournaient généralement autour de la guerre, une fois seuls, Ahmed en profitait pour donner au garçon des leçons de vie et de morale pour l’initier à une vie d’Homme ; il lui parlait souvent de l’importance qu’accordait la famille au blé, aux oliviers, aux figuiers et à l’huile d’olive « il les semait sciemment dans l’âme verte du garçon pour mieux le propulser dans l’avenir ». D’autres fois, il allait, avec sa grand-mère qu’il chérissait, faire le tour des maisons du village, à l’écoute des dernières nouvelles, des discussions, des rumeurs et des secrets de guerre préservés soigneusement par ces femmes impliquées dans la lutte de libération. Quand Malek rencontrait son ami Menad fils d’Ella Zahra, qui allait déjà à l’école, et en voyant ses livres pleins
d’images et de lettres, son envie d’y être un jour ne faisait que croître.


L’armée française confisque le rêve de Malek 

Une nuit, les soldats français arrivent au village avec des engins de toutes sortes, véhicules, jeeps, armes, etc. Les villageois sont conscients de la gravité de la nouvelle, leur vie paisible est dorénavant secouée. Le jour d’après, plus grave encore, les soldats de l’armée française avaient occupé l’unique école d’El-Meyen ; « Le chemin de l’école désormais barricadé, les enfants firent demi-tour. Ils retournèrent chez eux, bredouilles, sans un iota de savoir supplémentaire dans le cerveau. » Le drapeau tricolore mis en place, l’école s’est transformée en une caserne.

« Ce jour-là, Malek était encore loin de se douter que son rêve d’aller à l’école, son école, venait de tomber en syncope dans la civilisation de métal qui avait déferlé sur le village avec sa gamme d’engins de tous genres […] Le savoir, les leçons et les petites ruses des Iroumyens (dérivé du mot romain, désignant les français) avaient laissé la place à une ruse encore plus grande. Ils avaient abdiqué face aux armes. »

Les soldats exigent aux femmes du village, jeunes et vieilles, une séance de photographie à la placette du village, où elles devaient se dénuder la tête et se délester de leurs bijoux « à peine si on ne leur avait pas demandé de faire disparaitre d’un coup de baguette magique leurs tatouages, leurs rides, leur expression anxieuse, leur dignité ». La sortie du village est désormais interdite sauf sous autorisation des autorités.

Privé d’école, le jeune Malek commença à fréquenter des cours à la mosquée et nous décrit son expérience dans ce lieu du savoir religieux et coranique, et tout ce qu’il a appris des enseignements. Des ainés et des cheikh nourrissait la prise de conscience de la situation pitoyable dans laquelle se trouvait le village après l’arrivée des soldats, tout en semant l’espoir d’une indépendance proche ; « Elle est belle la devise Liberté-Egalité-Fraternité qui embellit l’entrée de l’école. Mais un jour proche, les civilisateurs en armes partiront de l’école. Ils quitteront notre terre et notre ciel, nos montagnes et nos plaines, nos rivages et notre Sahara, nos palmiers et nos oliviers. »


Traditions et rites d’El-Meyen 

Un autre événement triste a marqué à jamais l’esprit du jeune garçon, la perte de son chien Kjenio. En effet, Tadjmaa (les plus sages personnes du village qui prenaient, après de longues discussions, les décisions sur les questions importantes auxquelles faisaient face les villageois) ont ordonné l’abattage de tous les chiens du village pour permettre la circulation des frères du maquis en toute discrétion dans le village. D’autre part, Malek se souvenait de chaque saison passée dans la région, de toutes les coutumes propres à son village ; les traditions, les rites ancestraux, les contes avant de dormir, la fête du printemps, les mois de ramadan, Thiwizi (tradition d’entraide), Louzi’a (égorger deux veaux et assurer la répartition équitable de la viande entre tous les villageois) et autres rites qui ont résisté à l’oppression ; « Le printemps méritait bien sa fête ! Une des vieilles lança en direction de l’avion qui se dirigeait vers l’ouest, elles réclamèrent l’une après l’autres : personne ne t’a invité oiseau de
fer ! Retourne d’où tu viens ! Fut-ce au-delà de la mer ! Aujourd’hui notre joie sera complète ! » Bombardements…


Le village est sous tension 

Peu de temps après, les bombardements se déchainèrent sur le village d’El-Meyen, les avions des Iroumyens lâchaient des bombes un peu partout, les villageois devaient se cacher dans les montagnes pour éviter une mort certaine sous les explosions. Eux, qui pensaient avoir chassé l’armée française de leur terre, là-voilà qu’elle revient au dessus de leur tête pour leur faire vivre l’enfer ; « Dans les tombes, les lointains aïeux devaient se tourmenter pour leurs descendants. En venant s’établir tout en haut de la montagne, ils pensaient pourtant pouvoir échapper à tout jamais à toute invasion, eux qui voulaient vivre libres aux confins du ciel, en compagnie des aigles, sous la proche protection de Dieu. Mais voilà que, du haut des airs, des oiseaux de fer inspectaient les montagnes, les souillaient par des engins de mort. »

Après les bombardements, la famille épargnée par la louange de Dieu, était heureuse de constater que la figueraie était toujours là, résistante à tout ce qui menaçait son extinction ; « A l’instar des altières montagnes drapées de leur dignité, ni les figuiers ni les abricotiers ne s’étaient cachés dans la terre, ils n’avaient pas courbé l’échine. » Les survivants constatent le désastre, décomptent plusieurs morts, femmes, enfants ou hommes, des maisons en ruine, des champs brûlés…

La peur de mourir hantait les esprits des villageois encore en vie. Cependant, quelque chose de plus profond venait les réconforter. Ils étaient rassurés par la certitude que leur mort, comme celle des martyrs,  ne sera pas vaine et servira une cause plus noble que leur propre survie ; la survie de leurs rêves communs d’indépendance et de liberté.


Un petit enfant traumatisé par la guerre 

Quelques mois après, les soldats reviennent en force au village, déterminés comme jamais à faire plier la résistance et à briser le réseau de soutien aux combattants.

Pendant les heures passées dans le camp de regroupement, le petit Malek a vu le débarquement des soldats à la maison et senti les armes braquées sur lui et sa grand-mère, pire encore, il a palpé avec douleur les blessures de son oncle torturé Zemrassen, avant d’être ravagé par la mort de sa tante Hanifa qui refusa d’aller voir le médecin des Iroumyens.

Plus tard, suite à l’exil collectif vers un village lointain, dit Tamokra, Malek ne pouvait plus combler le vide laissé par son père qui travaillait à la capitale, car l’armée a interdit catégoriquement toute sortie du village ; « Les  soldats français étaient revenus au village avec des idées belliqueuses précises : couper ce cordon ombilical naturel, quadriller la zone, malmener les villageois à toute heure du jour et de la nuit. » Même après le retour de l’exil, la pression de la guerre ne cessait d’augmenter « patrouilles, hurlements, regards de sincère mépris, haut-les-mains, renflements de moteurs, points de contrôle, descentes dans les maisons, interrogatoires, humiliations. Une mise au pas sous la menace des mitraillettes. Autant d’insultes à la vie. Même le silence des tombes n’échappait pas au fracas des tirs, des rafales, des hurlements vrillant les nuits ».


La vie de la capitale et de l’école

Après plusieurs refus, les autorités accordèrent enfin l’autorisation à la petite famille de retrouver le père à Alger. Ils allaient découvrir un monde inconnu où la seule lueur serait le visage d’Athmane. Puis, Malek rentre enfin à l’école et se fait de nouveaux amis.

Le petit s’intégrait petit à petit dans le monde de la ville et de l’école, il vivat par la suite le moment le plus joyeux qu’a connu l’Algérie ; le jour de l’indépendance. Le village n’était désormais que des souvenirs à méditer aux générations à venir ; « Et de quoi pouvait être fier Malek ? Qu’avait-il à raconter ? Qu’il avait vécu la guerre ? Que des images étaient gravées dans sa mémoire ? Qui le croira ? Rapporter la mort de tous les chiens du village alors que les rues d’Alger en pullulaient et pas seulement chez les français… Qu’il s’abritait avec sa famille dans des trous sous terre ? Que les avions s’acharnaient sur sa région ? Non, ils riront du petit sauvage. Et d’abord, quels vocables utiliser quand il ne savait même pas nommer encore plein de choses en arabe et en français ? Non, il restera muet. Il laissera ses tourments enfouis en lui… »


Références

- L’étoile gravée, par Mouloud Rejdalen. Editions Première chance, Canada. Auteur né en Algérie, diplômé en science économiques de l’université d’Alger. Il réside au Canada depuis 1997. L’étoile gravée est son premier roman.
- Tableau réalisé par Karim Ben Siline, jeune artiste de la région d’El main

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