Se libérer de nos peurs

Se libérer de nos Peurs

Fadia Katia OUADAH


Nous vivons dans un monde agité, où règnent les conflits, les guerres et le désordre. En ce moment, les systèmes politiques et économiques et les organisations religieuses gèrent les affaires collectives en passant d’une autorité à une autre, mais ils n’ont jamais réussi à établir des réformes pouvant résoudre la complexité des problèmes de manière constante. Aucune révolution politique ni sociale ne pourrait apporter de solutions à nos problèmes ! Ce qu’on appelle révolution n’est en réalité que le prolongement d’une doctrine sous une autre forme.

Cependant, il existe une autre voie qui peut nous permettre la compréhension de la fonction de l’esprit. Pour ce faire, une révolution intellectuelle doit absolument avoir lieu, et doit consister en un bouleversement de la conscience ; c'est-à-dire éveiller une nouvelle intelligence.

Etre intelligent ne veut pas dire cultiver des données, apprendre des choses nouvelles, se livrer à des croyances ou des idéologies. L’intelligence n’est mise en œuvre qu’une fois la peur surmontée. La peur est l’une des raisons qui nous poussent à adhérer à des connaissances ; une discipline fondée sur la peur nous rend insensible aux choses profondes de la vie.


La peur déforme nos pensées

« La peur est la plus terrible des passions, parce qu’elle fait ses premiers effets contre la raison ; elle paralyse le cœur et l’esprit. » Antoine de Rivarol.

L’homme a depuis la nuit des temps connu la peur, il l’a éprouvée devant la férocité des animaux, le banditisme, la colère des éléments de la nature et devant différentes situations pouvant mettre sa vie en péril. Face aux dangers, l’homme a tendance à fuir tout ce qui lui fait peur, en vue de se protéger.
On dit bien que la plus grande peur de l’homme est la peur de « la mort ». En réalité, ce n’est pas l’idée de la mort même qui l’inquiète mais c’est ce qui vient après. En effet, aucune science n’a réussi jusqu’à présent à cerner ce recoin d’ombre.

La peur a toujours été un obstacle à l’investissement individuel, et par conséquent à l’investissement social. Elle pousse les individus à adopter un certain mode de vie, à s’accrocher à des choses extérieures, à des données psychologiques et aux idées rassurantes.

La peur pousse l’homme à rester attaché à ses semblables, ce qui le rend dépendant des autres, et perd donc sa capacité de réfléchir par lui-même. En se soumettant aux idéologies et aux dogmes, il s’empêche de s’exprimer librement, tout en se réfugiant dans le confort que lui procure le sentiment d’appartenance à un groupe.  L’esprit qui se contente d’imiter est mécanisé, il est semblable à une machine et son sens créatif est détruit. Il est donc nécessaire d’aller au-delà de ce niveau, de penser librement sans accepter les choses de façon irréfléchie.

La transformation de l’humain ne peut se faire qu’en se libérant de toute discipline autoritaire. Selon Jiddu Krishnamurti, lorsqu’il existe un rapport de force entre l’enfant et son éducateur ou instituteur, la peur s’installe, l’enfant obéit aux instructions sans réfléchir par crainte de dévier des principes instaurés. Il ne sera donc pas capable d’aller jusqu’au bout de ses pensées, et de là il n’y aurait plus d’esprit innovateur. L’enfant a besoin de commettre des erreurs pour apprendre, et le rôle de l’éducateur est d’éveiller sa conscience, l’aider à se corriger et à comprendre ses désirs profonds.  Il n’est pas là pour orienter sa pensée et lui imposer ce qu’il veut sans discuter avec lui ; mais l’aider à se réaliser, à découvrir ce à quoi il est destiné, car la discipline de l’enfant façonne l’adulte qu’il deviendra.


La peur et les croyances 

Nous préférons être enfermés dans des idées rassurantes pour combler notre vide intérieur, nous nous livrons aux croyances pour acquérir la vérité ou pour soulager nos angoisses, nous ignorons parfois que beaucoup de spéculations sont enracinées dans nos esprits. Lorsque nos pensées sont entourées de clôtures, nous refusons toutes nouvelles données et nous considérons comme faux tout ce qui ne convient pas à nos convictions, et par conséquent nous nous retrouvons dans une forme d’extrémisme. Beaucoup de personnes ont commis des crimes au nom d’une religion, au nom d’un nationalisme et même au nom de la liberté et les droits de l’homme !

On se demande comment est-ce qu’une personne peut commettre des crimes au nom de la liberté ?
En réalité, ceux qui rejettent les croyances religieuses ou politiques sont submergés par un monde d’idées libres, seulement ces idées se transforment aussi en forme de croyance. L’athéisme par exemple est une doctrine niant l’existence d’un créateur, mais être athée ne veut pas dire être libre, car l’être n’est pas toujours un choix personnel, souvent il est aussi le produit d’un conditionnement. La solitude et la méditation sont la meilleure façon de cultiver la sensibilité et d’interroger l’esprit car seul l’esprit qui interroge est capable d’apprendre et de comprendre.

Voilà pourquoi nous devons vider notre esprit de toute peur. Cela veut dire se libérer du conformisme et de la subordination, et pour ce faire, on doit éveiller notre sensibilité, car elle suscite un comportement moral dans le vrai sens du mot.


La peur et le désir de reconnaissance

« Le désir de reconnaissance est un désir d’esclave » .Nietzche

L’humain a toujours le désir de reconnaissance, le désir de réaliser ses ambitions, que ce soit sur le plan intellectuel ou matériel. Les personnes ambitieuses sont les plus exigeantes, elles ne sont jamais réellement satisfaites du résultat de leur travail et désirent toujours un plus, ce qui nourrit en elles une angoisse et une peur permanentes.

L’ambition est l’éternelle lutte pour « devenir », elle peut engendrer des frustrations, des sentiments de jalousie que l’on appelle compétition, ou comme l’écrit Pierre Daco : « La compétition est une motivation extrêmement malsaine, elle oblige à vivre en opposition avec autrui. Elle oblige à une solitude et un individualisme parfois angoissé. Elle engendre des sentiments d’infériorité, d’impuissance et d’échec. Elle oblige à maintenir une image de marque imposée par d’autres. »
Les sociétés modernes encouragent le culte du succès et l’esprit ambitieux. Ce monde où les classes sociales et les nations se battent tous les jours et où l’économie du marché est basée sur la concurrence, est loin de l’esprit de partage qui permet l’épanouissement de toute une société qui prospère ensemble.

Néanmoins, l’ambition positive ne fait de mal à personne, elle ne concurrence pas et refuse la compétition déloyale. Celui qui possède cette ambition ne cherche pas à prouver, il ne se laisse pas influencé ni par le regard des autres, ni par les injonctions de l’entourage.


Comprendre la peur

« Rien n’est à craindre, tout est à comprendre. »  Marie curie.

Pour réussir à transcender la peur, on doit comprendre tous les secteurs de la vie. L’ennemi de la peur est la compréhension. Cependant, il ne faut pas faire intervenir l’idéal ! Il faut avoir un esprit critique et le sens d’analyse, et comprendre les raisons de certaines obligations. Il est important de remettre en question tous les enseignements reçus afin d’affronter intelligemment les problèmes du monde.

« Les personnes les plus âgées n’ont jamais pensé à ce problème de la peur, ou y ont pensé distraitement sans l’affronter dans leur vie quotidienne […]. La peur est une mauvaise herbe cachée ; elle grandira, se répandra en vous et déformera vos esprits. Vous devriez donc être conscient de tout ce qui se passe en vous et autour de vous, de comment parlent vos maitres, comment vos parents se comportent et comment vous réagissez afin que tout ce qui concerne la peur soit vu et compris. » Dixit Krishnamurti.

En effet, si on parvient à comprendre nos motifs et les causes de notre acceptation des croyances, on pourra se libérer du conformisme. On nous a toujours dit qu’il est évident que nous croyons afin de trouver la sécurité spirituelle, économique, psychologique ou autre. Le problème en réalité ne réside pas dans le fait de croire ou de ne pas croire, mais dans pourquoi croire ? On doit comprendre le désir de sécurité psychologique et comment se libérer de la soif de certitude, car la certitude érige des barrières de croyance et pousse l’individu à s’enfermer dans ses murs. Un esprit qui croit détenir la vérité absolue n’est pas libre !

Ce que nous connaissons n’est pas la vérité ! Nous sommes alimentés d’expériences basées sur nos conditionnements. Nous traduisons nos pensées, nos lectures et nos croyances selon les idées que nous avons au préalable. Pour Pierre Daco « tout n’est que le reflet de notre propre pensée. Rien ne correspond jamais à ce que nous ressentons, croyons, voyons ou entendons ».

L’esprit tel qu’on le connait, encombré de certitudes, ne parvient pas à découvrir la vérité. Qu’est-ce qu’est Dieu ? Qu’est-ce qu’est la foi ? Qu’est-ce qu’est l’intelligence de l’univers ?

Il ne s’agit pas de se détacher des connaissances pour créer un monde meilleur, mais de remettre en cause toutes nos connaissances acquises et de comprendre l’intérêt de tous les enseignements reçus ; les accepter aveuglement parce que les choses sont ainsi faites depuis des siècles n’aurait absolument aucun sens. On ne doit pas se contenter d’absorber des données, et répéter indéfiniment ce qu’on apprend car on risque de tomber dans la monotonie. Et on ne doit pas non plus rejeter totalement les enseignements, écarter les croyances et abolir les lois car on risque de nous perdre. En effet, nous avons toujours besoin de repères dans notre vie, car ils sont indispensables à l’élaboration de nos pensées.


Conclusion 

Le monde fut bâti par des gens ambitieux et peureux mais aussi par des personnes intelligentes, courageuses et conscientes. Notre monde ne survivra que grâce à des espérances ! L’humanité ne cesse d’évoluer et l’intelligence humaine ne connait pas de limites. Se connaitre tel que l’on est et non tel que l’on désir être, est le commencement de la vertu. La vertu n’est pas le devenir de ce qu’on n’est pas, mais la compréhension de ce qu’on est. Pour comprendre ça, on doit se libérer de nos peurs.



Références 

Face à la vie – Jiddu Krishnamurti.
La première et dernière liberté –Jiddu Krishnamurti.
Les voies étonnantes de la nouvelle Psychologie –Pierre Daco.





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