Pharmaciens, Dignes Héritiers des Alchimistes

Pharmaciens, Dignes Héritiers des Alchimistes



Sofiane. M. L. BENHABILES


Selon toute évidence, les objectifs de l’alchimie et de la pharmacie diffèrent tant physiquement que moralement. Pourtant, les travaux menés par les connaisseurs des sciences occultes, aujourd’hui encore peu reconnus, ont joué un rôle prépondérant dans la genèse des sciences thérapeutiques, notamment les sciences pharmaceutiques ; ces sciences ont longtemps utilisé pour base les avancées notables des alchimistes dans les domaines de la botanique et de la chimie, en attribuant aux différentes découvertes des applications moins « mystiques » et plus concrètes.


Alchimie : panacée, élixir de longue vie et pierre philosophale

"Au sens profane, l’alchimie consistait en un ensemble de procédés chimiques permettant d’obtenir la transmutation des métaux en or. Ce fut également un système scientifique et philosophique, visant à découvrir les lois cachées régissant l’univers." Nadia Julien, Dictionnaire des Symboles, Marabout 1989.

De nos jours, quand l’alchimie n’est pas réduite à un simple ensemble de pratiques archaïques et dépassées entrant dans le cadre de fabrications artisanales telles que les teintureries, elle est représentée dans l’imaginaire collectif par la magie, la sorcellerie ou encore l’obscurantisme. Néanmoins, les alchimistes avaient parmi leurs desseins, hormis la découverte de la pierre  philosophale qui permettrait la transformation des métaux en or, la recherche de la panacée (remède universel permettant de guérir toutes les maladies) et l’élixir de longue vie (boisson permettant l’allongement considérable de la vie humaine) ; ce qui les amena à s’intéresser de très près au corps humain, à la santé et aux maladies, se positionnant ainsi parmi les précurseurs de la médecine moderne.

C’est ainsi que l’on doit à l’alchimie de nombreuses participations et découvertes qui contribueront à la création de la pharmacie moderne, dont l’utilisation des substances toxiques (poisons, venins, etc.) dans la thérapie et la découverte de l’alcool pur par le moine et alchimiste franciscain espagnol Johannes De Rupescissa qui, par le procédé de distillation de vin, pût extraire l’alcool à brûler qu’il appellera « acqua vita » (l’eau-de-vie). 

Il en va de même pour le symbole universel de la pharmacie, la coupe d’Hygie (serpent enroulé autour d’un verre de vin), dont les interprétations sont nombreuses, qui fût initialement utilisé par les alchimistes.


Paracelse, visionnaire à l’esprit borné

On ne peut parler d’alchimie sans mentionner Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, plus connu sous le nom de Paracelse, un des pères de l’alchimie. Baignant dès son plus jeune âge dans un environnement où l’alchimie était omniprésente, il renia les théories d’Hippocrate et de Galien qui faisaient légion à l’époque. Il ira même jusqu’à refuser de prêter le serment d’Hippocrate lorsqu’il sera nommé Professeur de médecine à l’Université de Bâle en 1527 et brûler en public plusieurs exemplaires du Canon de la médecine d’Ibn Sina. 

La formation d’alchimiste de Paracelse lui conféra un certain savoir : il maîtrisait déjà la fonte, la purification des métaux ainsi que la formation d’alliages. Il connaissait le principe de l’oxydo-réduction et celui de la formation de sels solubles après mélanges de certains métaux. Il pensait par ailleurs que tout objet possédait en lui un esprit volatil qu’il dénomma la « cinquième essence des choses » ou « quintessence ». Pour lui, chaque matière fut initialement pure et, au fil du temps, des impuretés s’incrustaient et,donc, si l’on arrivait à réattribuer aux matières leur état de pureté originel, cela pourrait servir de médicament et guérir toutes les maladies. C’est ainsi qu’il se lança dans les premiers essais de « monothérapie » ou l’administration d’une seule substance à la fois aux malades. Ce principe de produit unique donnera naissance aux traitements médicamenteux modernes efficaces, comme c’est le cas pour la majorité de l’industrie pharmaceutique aujourd’hui qui est basée sur la recherche et la purification des substances afin d’en faire des principes actifs efficaces. 


Une autre contribution de l’alchimiste Paracelse à la médecine moderne est sa célèbre formule : « Tout est poison, rien n’est sans poison. C’est seulement la dose qui fait le poison. » Bien que ce principe ne soit pas totalement exact (des matières très utilisées par les alchimistes tels le mercure, le plomb ou l’or sont toujours toxiques même à des quantités infimes), il en découlera de nombreuses découvertes thérapeutiques importantes. En effet, les thérapeutes qui lui succédèrent commençaient à administrer toutes sortes de produits à petites doses à leurs patients et purent donc découvrir des vertus thérapeutiques insoupçonnées à certaines substances, comme le lithium pour les troubles maniaco-dépressifs, l’arsenic pour la syphilis, le platine contre certains cancers, etc. 

Enfin, il accorda à la dimension « éthique » et « humaniste » de la médecine une importance considérable dont perdurent encore certaines de ses citations, de véritables leitmotivs pour tout professionnel de la santé :
« On ne peut point aimer la médecine sans aimer les hommes. » 
« Je vous recommande de ne pas être âpre au gain, de mépriser le superflu et la fortune, de voir quelquefois des malades gratuitement. » 
« Le médecin ne doit pas trop se vanter… Il doit savoir ce que veut la nature et qu’elle est le premier médecin. »


De l’apothicaire au pharmacien 


Les apothicaires sont les précurseurs « officiels » des pharmaciens. Ce sont des préparateurs de médicaments (solutions, breuvages, décoctions, etc.) qui se différenciaient des charlatans par le fait qu’ils avaient des boutiques, les apothicaireries, faisant d’eux des commerçants sérieux et qualifiés (le mot apothicaire venant du latin Apothicarius voulant dire boutiquier). 

Flaubert décrit l’apothicairerie avec ces mots : « Probablement que c’était le logis vénéré d’un bon apothicaire-herboriste d’autrefois, lors du vieux temps des élixirs et des juleps, quand on venait chercher chez lui la drogue orientale, le médicament miellé, l’or potable qui prolonge la vie, et puis aussi le remède mystérieux qui se composait la nuit dans la seconde arrière-boutique, derrière les gros alambics verts et les paquets de baume… » Par les champs et par les grèves, 1881. 

La fonction d’apothicaire ne fait pas suite aux alchimistes, au contraire l’on rapporte même leur existence dans des textes datant de 2600 av J.C. dans la civilisation Sumérienne. Cependant, ils n’acquerront leur « essence principale » de boutiquiers et de préparateurs de remèdes qu’au Moyen Âge, après l’avènement de l’alchimie et des échecs successifs qu’elle engendrait, pour justement se distinguer des alchimistes qui, pour l’opinion publique, étaient des « savants fous sans scrupule et peu qualifiés ». 

A son commencement la formation de l’apothicaire était exclusivement pratique pour la maitrise technique de la réalisation des préparations. Au fil du temps, l’apprenti devait avoir des notions de Latin et de grammaire pour la lecture des formulaires et des ordonnances des médecins. Quatre ans d’apprentissage et trois à dix ans de compagnonnage plus tard, l’élève pouvait accéder à la maîtrise après une présentation d’un certificat de bonne vie et moeurs. 

Ensuite, des communautés d’apothicaires commencèrent à naître et posèrent les bases de la réglementation stricte dans la préparation des remèdes, caractère que conservera l’industrie et la science pharmaceutique jusqu’à aujourd’hui. 

Enfin, ce n’est qu’en 1777, sous le règne de Louis XVI, qu’ils prendront le nom de « Pharmaciens » et qu’ils obtiendront l’exclusivité de la préparation des remèdes. 

C’est ainsi que disparut le mot « apothicaire » au profit de celui de « pharmacien », même si l’on y fait encore référence aujourd’hui dans certaines langues (Apotheker, Apothecaria et Aptsiéka qui signifient « pharmacie » en Allemand, en Espagnol et en Russe respectivement) ; et naquit ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « pharmacie moderne ».


Références
- « L’alchimie dans l’oeuvre au noir, une interprétation », Maxim M. Blondowski, 2013.
- « le corps invisible et la médecine alchimique », Léon Gineste, 2009.
- « Ce que la science doit à l’alchimie », Jean-Marc Dupuis, 2016.
- « The mystery and romance of alchemy and pharmacy », C.J.S Thompson, 1897.

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