Interfaces Cerveau Machine : Lorsque la Science Défie ses Limites


Interfaces Cerveau Machine : lorsque la Science défie ses limites

Mona Sabrine MAYOUF


Devant l’impuissance de la médecine face à maints handicaps et pathologies, la science ne reste pas sans agir. En effet, la technologie avance à pas de géant et n’hésite pas à apporter à la médecine un nouveau souffle, une lueur d’espoir, ou pourquoi pas, une nouvelle perception. Les interfaces cerveaumachine (ICM) qui jadis relevaient de l’utopie, sont aujourd’hui un acquis prometteur qui vente sur l’avenir espoir et émancipation. Mais qu’est-ce qu’une ICM ? Comment fonctionne-t-elle ? Et jusqu’où peut-elle intervenir ? Des questions auxquelles cet article tente de répondre.


Qu’est-ce qu’une interface cerveau machine ? 

Une interface cerveau machine (ICM), encore appelée interface neurone directe (IND), est une interface de communication entre le cerveau humain et un dispositif externe à travers l’interprétation ou la génération de signaux neuronaux. Ces interfaces peuvent être unidirectionnelles, véhiculant les données du cerveau vers le dispositif effecteur, comme dans le cas d’une prothèse motrice par exemple, ou bidirectionnelles, véhiculant les données dans les deux sens, comme les prothèses sensitivo-motrices, renseignant d’une part le cerveau sur l’environnement extérieur, et exécutant d’autre part les actions motrices que dicte ce dernier.


Les ICM, un vrai pas de géant ! 

Après que l’ingénierie électronique ait accompli de glorieux pas, que l’informatique ait connu une exponentielle avancée et que la neuroscience ait élucidé de nombreux mystères sur le circuit neuronal de l’homme, plusieurs chercheurs se sont penchés sur le contrôle de l’activité cérébrale.
Ce n’est qu’en 1970, à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), que fut employé pour la première fois, le terme « d’interface cerveau-machine. »
Dans les années 1980, une équipe de recherche de l’Université Américaine Johns-Hopkins trouva, chez le singe rhésus, un singe ayant tant servi la science, une loi mathématique expliquant la direction de déplacement de son bras en fonction de l’activité électrique d’un simple neurone de son cortex moteur.
Les recherches se poursuivent et les lois régissant aussi bien les circuits neuronaux que les algorithmes décodant l’activité cérébrale, atteignent leur apogée avec les années 2000 marquées par l’invention de la première interface cerveau-machine opérationnelle qui connut jusqu’à ce jour maints progrès et amélior tions.

Première maquette d'ICM
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:BrainGate.jpg?uselang=fr , consulté en janvier 2018


Principe de fonctionnement 

Le principe des ICM est basé sur l’excitabilité nerveuse des membranes neuronales et est inspiré du mécanisme de l’action intentionnelle et du réflexe. Pour un but pédagogique, nous nous intéresserons dans ce qui suit aux ICM unidirectionnelles. Le même mécanisme est repris en double dans le cas des ICM bidirectionnelles.
Le système d’une ICM est un enchainement de plusieurs éléments assurant chacun un rôle particulier. Pour contrôler un dispositif externe connecté au cerveau, la première étape consiste à enregistrer l’activité cérébrale grâce à des électrodes placées sur la zone du cerveau sensée assurer la fonctionnalité que simule le dispositif externe. Une fois le signal acquis, celui-ci doit être épuré de tout bruit extrinsèque, puis traduit en commande qu’exécute enfin le dispositif. Chacune de ces étapes est expliquée dans ce qui suit :

1. Captage de l’activité cérébrale 

L’utilisateur pense à l’action qu’il souhaite accomplir, ceci génère chez lui une activité cérébrale à la fois spécifique en temps, en fréquence et en espace. Il existe plusieurs procédés de mesure de l’activité cérébrale, dont la méthode de l’électroencéphalographie (EEG) qui demeure la plus répandue dans le monde des ICM.
L’EEG est basé sur la simple mesure de différences de potentiel au niveau du scalp au biais d’électrodes placées sur le cuir chevelu du patient. L’EEG capte la majeure partie des signaux émis par le cortex cérébral qui est subdivisé en aires spécifiquement fonctionnelles. En ICM, l’intérêt majeur est porté sur les zones sensori-motrice et visuelle.
Pour résumer, l’activité cérébrale représentée par l’EEG et captée par des électrodes représente le point d’entrée de l’ICM.

2. Enregistrement de l’activité cérébrale 

Afin d’enregistrer les signaux de l’activité cérébrale et générer l’EEG, les électrodes peuvent être placées selon diverses manières, définissant ainsi trois modes d’enregistrement selon que les électrodes soient crâniennes, sous-durales ou carrément corticales, comme suit : 
- Le mode invasif : une grille d’électrodes est implantée directement dans le cortex. Une méthode, certes à haute précision, mais à risques non négligeables, d’ailleurs elle n’a été testée que sur une faible population de patients volontaires. 
- Le mode semi-invasif : une grille d’électrodes est placée sous la dure-mère. La résolution spatiale est légèrement moins bonne qu’avec une implantation dans le cortex, mais les risques de complication sont moindres. 
- Le mode non-invasif : le patient porte un casque en tissu équipé de multiples électrodes. Bien que la résolution spatiale soit limitée, ce mode reste le plus répandu de part sa facilité d’usage, sa portabilité, son accessibilité et son interopérabilité avec divers systèmes.

3. Traitement du signal enregistré 

Le signal enregistré par les électrodes (selon le mode non-invasif généralement) est transmis à un logiciel de traitement qui commence par épurer le signal de tout bruit parasitaire. Ensuite le signal est analysé et interprété grâce à divers algorithmes sophistiqués pour déceler l’action intentionnelle du cerveau.
Toute activité cérébrale est mappée à une forme bien précise de l’EEG. Pour ce faire, le système est doté d’une volumineuse base d’apprentissage englobant les actions à réaliser et l’EEG correspondant à chacune. La phase d’apprentissage est couronnée par le mappage entre l’EEG reçu des électrodes et l’action que ce dernier véhicule.
 En d’autres termes, cette phase consiste à comprendre ce que le cerveau a l’intention de réaliser à travers l’analyse de l’EEG enregistré.

4. Génération de commandes exécutables par le dispositif effecteur 

Une fois le mystère de l’action à accomplir élucidé, il est nécessaire de transmettre cette dernière au dispositif externe responsable de l’effectuer. Pour cela il faut traduire cette action en une commande intelligible par le dispositif. La commande est généralement constituée de micro-commandes élémentaires dont l’exécution correcte dans l’ordre précis aboutit au résultat escompté.
Ainsi, par exemple dans le cas des prothèses motrices, la traduction des commandes en langage effecteur comprend des commandes de mobilité du bras, de pli des doigts, de rotation de la main métallique et bien d’autres commandes spécifiques à ce dispositif. Par contre dans le cas du fauteuil roulant, les commandes concernent la mise en marche de ce dernier, le pilotage de directions, la gestion de vitesses, etc.
Vous l’aurez compris, à chaque dispositif effecteur, son panel de commandes.
En résumé, une ICM (dans le contexte médical) a pour but de faire contrôler par le cerveau un dispositif externe prenant le relais d’un organe défaillant. Pour ce faire, tout est question de langage ! Le cerveau ne pouvant plus communiquer avec l’organe effecteur naturel, on essaie de comprendre ce qu’il veut dire en captant l’activité cérébrale via l’EEG puis en la prétraitant et en l’analysant. Une fois l’action comprise, on la traduit en un langage que comprend le nouveau dispositif externe de relais ; on lui envoie alors la commande et ce dernier l’exécute comme par magie !


Exemples d’utilisation 

Les ICM ont apporté aujourd’hui au handicap moteur, à la tétraplégie, aux myasthénies et aux maladies neurodégénératives un nouveau souffle, une atténuation des conséquences et un nouveau mode de vie.

Les prothèses contrôlées par la pensée 

Plusieurs personnes ont vu leur vie s’arrêter suite à un handicap moteur et ont dû supporter le lourd fardeau et la triste réalité de se sentir à la fois inefficaces et dans le besoin constant d’être assistés. Les nouvelles générations de prothèses contrôlées par la pensée permettent à ces gens de mobiliser des objets par leur simple volonté et tout porte à croire que dans le futur, les handicapés moteurs pourront réacquérir leur autonomie complète grâce aux ICM.

Les lentilles zoomables 

Plusieurs efforts de recherche se sont unis pour mettre en place une lentille intelligente pouvant zoomer jusqu’à 2.8 fois suite au simple clignotement de l’œil. Une invention très prometteuse pour lutter contre les dégénérescences maculaires liées à l’âge (DMLA).


Stéphane Hawking, un exemple de courage et de persévérance 

Stéphane Hawking, l’imminent physicien ayant illuminé la physique théorique et la cosmologie, fut atteint d’une sclérose latérale qui, à l’âge de 38 ans, lui fit perdre tout contrôle musculaire. Il déclare : « La médecine ne peut rien faire dans mon cas, seulement je compte beaucoup sur la technologie. »
 Hawking fut doté d’une interface cerveau machine qui lui permit de poursuivre ses glorieuses recherches et activités ; et 36 ans après la révélation de sa maladie, il brille encore dans le monde de la science.


Conclusion 

La science a aujourd’hui compris que pour évoluer, il est indispensable de croire en la transversalité et la convergence des domaines de recherche. Certes, les ICM ne peuvent pas guérir ce que la médecine proclame incurable, mais elles sont là pour apaiser les souffrances, faciliter les tâches pénibles et faire retrouver aux patients leur autonomie d’autre fois. Plusieurs témoignages de patients utilisant les ICM traduisent leur satisfaction, leur stupéfaction et leur reconnaissance envers cette invention qui a transformé leur quotidien et bouleversé leur vie à jamais. Devant les limites auxquelles se heurte la médecine, il n’est peut-être pas question d’avoir une santé infaillible mais une volonté infaillible… !


Bibliographie et webographie

- Alexandre Barachant, Septembre 2015, Commande robuste d’un effecteur par une interface cerveau machine EEG asynchrone, université de Grenoble. 
- « The future of brain-controlled devices », CNN.com, 4 janvier 2010 
- www.invivomagazine.com/fr/corpore_sano/innovation/ article/92/des-protheses-controlees-par-la-pensee 
- www.francetvinfo.fr/sante/decouverte-scientifique/uneprothese-controlee-par-la-pensee_916567.html


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