L’insuffisance cardiaque, de nouveaux horizons !


L’insuffisance cardiaque, de nouveaux horizons ! 

Quand l’ingénierie et la biomédecine se mêlent du cœur 


Mahdia HAMALIT


Face à l’extension cosmique de l’insuffisance cardiaque, notamment dans les pays industrialisés et avec la recrudescence de la pathologie dans son pronostic le plus sévère, suite à l’aspect réfractaire qu’elle peut revêtir dans son approche pharmacologique, il était devenu urgent de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques. On décrira, respectivement, le cœur artificiel et la thérapie cellulaire.


Physiopathologie et approche thérapeutique actuelle de l’insuffisance cardiaque

Le cœur est une pompe (Platon, 400 ans av. J-C). Pour être plus précis, on dira qu’il s’agit d’une double pompe aspirante*/ REFOULANTE à débit alternatif (le remplissage et l’éjection se font à des temps différents).
Lorsque le muscle cardiaque devient incapable d’assurer un débit sanguin systémique normal malgré un régime de pression de remplissage normal, on est en droit de parler d’insuffisance cardiaque.
Trois mécanismes affaiblissent les performances de notre pompe. Rien de bien sorcier puisque c’est en rapport avec les trois paramètres déterminants le VES dans l’équation Qc = VES X FC : l’ionotropisme, la précharge et la post-charge. Les deux premiers par défaut et le dernier par excès.
Les principes thérapeutiques actuels, pharmacologiques surtout, se donnent pour fin de booster les composantes défaillantes et de réprimer, en parallèle, les conséquences délétères des phénomènes adaptatifs. Cependant, s’ils améliorent la survie, la mortalité reste élevée et peut atteindre 60 % chez les sujets au stade IV de la classification de la NYHA. La transplantation reste le traitement radical le plus efficace des formes les plus avancées, mais cette approche est limitée par des contraintes immunologiques, la pénurie des organes et le statut clinique du patient.


Le cœur artificiel: une alternative crédible pour les malades non éligibles à la transplantation ? 

Sortie tout droit d’un récit de science-fiction, désormais, l’option cyborgique propose un réel espoir aux patients atteints d’insuffisance cardiaque terminale.
Depuis le cœur du Dr. Kolff (1957), les prototypes et donc les expérimentations se sont multipliées aussi bien sur des animaux que sur des hommes, cardiopathes, en fin de course. Toutes se sont soldées par l’échec. Jusqu’en 2008, année durant laquelle la société CARMAT annonce une réelle prouesse technique : un cœur artificiel implantable, orthotopique**, bioprothétique et autorégulé.
Il s’agit du couronnement d’un travail laborieux mettant en collaboration l’expertise du chirurgien cardiologue Français Alain CARPENTIER (père des prothèses universelles Carpentier-Edwards) et l’entreprise MARTA Défense (Airbus Group), au sein d’une même société baptisée CARMAT.
Le Pr. Carpentier, à la différence de ses prédécesseurs avait choisi le modèle du cœur humain pour reproduire la contraction cardiaque. Ainsi, notre engin fut constitué de deux cavités ventriculaires droite et gauche séparées par une biomembrane souple. Entre la membrane et le sac externe du cœur, il existe une cavité dans laquelle est logé le liquide d’actionnement hydraulique. Grâce à deux groupes de motopompes miniatures placées dans la partie inférieure, le liquide est poussé, déplaçant ainsi la biomembrane, ce qui permet de mimer le mouvement de la paroi myocardique du cœur humain lors de la systole. Un dispositif électronique embarqué régule le fonctionnement de la prothèse en fonction des données recueillies par des capteurs de pression, un microprocesseur intégré traite ces données et permet l’adaptation requise.

Il est à noter que tout matériel en contact avec le sang est hémocompatible : le sang ne coagule pas à sa surface (réaction qui serait normale devant un corps étranger). En effet, on utilise pour la fabrication des membranes internes et des valves du produit biologique (péricarde de veau) traité au glutaraldéhyde (C5H8O2) pour éviter tout risque de rejet. La paroi séparant les deux ventricules est faite d’un polymère dit Teflon-PTFE: une surface microporeuse sur laquelle s’ensemencent des protéines sanguines. Ainsi, une fois tapissé, le tissu est reconnu comme faisant partie intégrante du soi. Le patient n’est donc plus contraint de prendre un traitement anticoagulant ou un traitement immunosuppresseur. Les matériaux qui ne sont pas en contact avec le sang sont quant à eux synthétiques mais biocompatibles, légers et résistants à la corrosion (titan pour les motopompes). Enfin, le patient, pourra bénéficier d’une autonomie de six heures grâce aux deux batteries externes, rechargeables, portées en holster.


Depuis décembre 2013, trois patients ont été implantés. Le premier succomba soixante-quatorze jours après l’intervention. Le deuxième et le troisième survécurent pendant neuf mois. Il faut souligner que les trois patients présentaient des tares préopératoires. L’analyse macroscopique des prothèses, ainsi que celle des données enregistrées par les dispositifs de survie des patients et celles obtenues suite aux autopsies a révélé une micro fuite de la zone « sang » vers le liquide d’actionnement des deux premières prothèses, ce qui a engendré une perturbation de l’électronique du pilotage des moteurs. Tandis que la prothèse du dernier défunt est restée en bon état de marche et ne fut arrêtée que par les médecins, après son décès. Celui-ci aurait rendu l’âme suite à un arrêt respiratoire, compliquant son insuffisance rénale chronique.
Au demeurant, la société a obtenu l’autorisation de poursuivre l’étude de faisabilité (l’implantation du quatrième patient), puisque cette dernière a largement rempli son objectif principal d’un taux de survie supérieur à trente jours. Elle a même répondu aux critères de l’étude pivot qui devrait être lancée une fois cette dernière étape franchie. De plus grande envergure, elle concernera une vingtaine de patients à l’échelle européenne, pour obtenir le marquage CE indispensable pour l’autorisation de mise sur le marché.


Les cellules souches embryonnaires : une fontaine de jouvence pour le cœur ?
Vue microscopique d'une colonie de cellules souches embryonnaires sur un fibroblaste

Destinée aux insuffisants cardiaques graves (post-ischémiques surtout) qui ne répondent pas au traitement médical habituel mais qui ne sont pas au stade de transplantation, cette thérapie, qualifiée déjà de prélude de la médecine régénérative, vise à bloquer ou inverser le remodelage, restaurer la contractilité myocardique en remplaçant le tissu cicatriciel par un tissu vivant de fonctionnalité supérieure et/ou induire une angiogénèse locale capable de stimuler les cardiomyocytes hibernants.
Il faut savoir que le concept ne date pas d’aujourd’hui. Depuis vingt ans, le Pr. Philippe Ménasché, l’un des pionniers dans la matière, et son équipe au service de chirurgie cardiovasculaire de l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris) travaillent en collaboration avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM, France) sur les différentes étapes du procédé, allant du choix des cellules, leurs traçabilité, le protocole d’administration, jusqu’à l’évaluation de la fonction cardiaque en post-greffe.
En juin 2000, pour la première fois, l’équipe a testé en laboratoire puis sur le cœur d’un patient, l’implantation de cellules souches du muscle squelettique. Par la suite, l’équipe a coordonné un essai multicentrique européen, randomisé, dont les résultats n’ont toutefois pas permis d’établir un bénéfice significatif de ces cellules sur la fonction contractile du patient.
L’une des conclusions tirées de cet essai confirmait que l’efficacité des cellules greffées dépend, entre autres, du degré de ressemblance avec les cellules des tissus réparés, en l’occurrence, le tissu cardiaque. C’est ainsi que les recherches se sont tournées vers les cellules souches embryonnaires, issues d’embryons conçus dans le cadre de FIV. Ces cellules sont en effet douées de pluripotence, donnant naissance à des cellules cardiaques dès lors qu’elles reçoivent un cocktail élaboré de facteurs de croissance et de différenciation spécifiques, pendant une durée déterminée. En prime, il s’agit de cellules faiblement immunogènes.
Depuis, moult expérimentations ont été pratiquées sur de nombreuses espèces animales, pour valider l’efficacité de ces cellules et optimiser les conditions permettant d’en garantir la sécurité maximale. Au terme de cette étape, une banque de cellules souches embryonnaires a été créée. Dans la même logique, la mise au point a ensuite porté sur la purification des cellules orientées afin d’exclure le risque tumorigène (une seule cellule pluripotente délaissée dans le produit final constitue un danger réel). Et enfin, des limites par rapport au procédé d’administration (soit par injection) ont été démontrées. Le transfert des cellules est désormais effectué sous forme de patch à appliquer sur la zone nécrosée lors de l’intervention chirurgicale. Ceci dit, une forte liaison est suspectée entre le bénéfice des cellules et les substances qu’elles libèrent : ces substances seraient derrière le processus de régénération. Si la relation de cause à effet est démontrée, on en viendra sans doute à l’injection, non pas des cellules, mais du « jus » qu’elles sécrètent.


En 2013, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM, France) a donné son feu vert à un protocole de recherche sur six patients qui devaient remplir trois critères : être atteint d’une altération sévère du VG, avoir fait un IDM, et présenter une indication à un pontage coronaire.
Le 21 octobre 2014, le Pr. Philippe Ménasché et son équipe ont pratiqué la première intervention du protocole, sur une dame âgée de 68 ans, souffrante d’une INC sévère. Un an après, son état s’est nettement amélioré sans qu’aucune complication n’ait été observée.
A ce stade, il s’agit de s’assurer de la sécurité et la faisabilité et non de l’efficacité de la thérapie. Néanmoins, ça reste une réussite encourageante, pour poursuivre le même protocole sur les cinq candidats restants. Au bout de l’essai, on saura si une nouvelle voie thérapeutique se confirme pour l’INC.
Tout comme le don et la greffe d’organe auparavant, la médecine régénérative soulève aujourd’hui des questions d’une portée éthique, philosophico-religieuse et même juridique.
En 1959, lors de la 23ème réunion internationale de neurologie, les recherches des Drs. Maurice Goulon et Pierre Mollaret ont remis en question la fin de la vie : dès lors, elle n’est plus attestée par l’arrêt cardiaque mais par l’abolition des fonctions cérébrales. Ainsi le don et la transplantation du cœur sont rendus possibles. Ironie de l’Histoire, nous sommes aujourd’hui devant l’autre question difficile ; celle qui s’interroge sur le début de la vie. Est-ce que le statut d’ « être humain » n’est endossé par l’embryon qu’à un certain moment de son évolution ? Situation qui justifierait l’extraction de ses cellules (et donc sa destruction) à des fins thérapeutiques avant ce moment précis. Ou alors, devrions-nous admettre sa qualité d’ « être humain potentiel » même avant la mitose ? Situation qui, elle, interdirait une telle pratique.


*Le retour veineux n’est pas assuré uniquement par la fonction cardiaque, mais par l’effet concomitant de la respiration (système abdomino-diaphragmatique), de l’activité musculaire squelettique et de la gravité.

**Qui est situé dans son emplacement anatomique habituel, en parlant d’un organe transplanté. Dans le médiastin antérieur, pour notre cœur.

Bibliographie

- Alain Nitenberg , Couplage cœur-système artériel, 2013.
- E. Laffon, Mécanique des fluides, 2011.
- « Actualité de la science », numéro 451, Avril 2011.
- « Actualité de la science », numéro 459, Janvier 2012.
- CARMAT Website « www.carmatsa.com ».
- « Revue Médicale suisse », 2012 : 2364-2369. 2014 : 20, 651-62.
- Assistance hôpitaux publiques de paris,2015.
- INSERM website “http://www.inserm.fr”.


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