Le dialogue Intestin - Cerveau


Le dialogue Intestin - Cerveau 


Sara BOUKELLAL et Tin Hinan HOCINE


L’existence d’un véritable lien entre le cerveau et l’intestin est aujourd’hui validée par la recherche scientifique. En effet, il semblerait que ces deux-là aient bien de choses à se dire. Et au cours de leurs échanges, deux moyens de communication sont mis en avant : le Système Nerveux Entérique (SNE) et le microbiote intestinal.
Si le rôle central du microbiote intestinal dans les maladies métaboliques telles que l’obésité et le diabète est reconnue depuis plusieurs années, l’implication de celui-ci dans des maladies neurodégénératives et neuropsychiques dont la maladie de parkinson ou l’autisme, est de plus en plus démontré au cours des dernières années.



Un cerveau dans le ventre ?


Le système nerveux entérique (aussi appelé « cerveau viscéral » ou « deuxième cerveau ») est la partie du système nerveux autonome qui contrôle l’ensemble du système digestif. Il est constitué de cent (100) à deux-cent (200) millions de cellules nerveuses, réparties le long du tube digestif et organisé en deux plexus ganglionnaires : le plexus myentérique d’Auerbach et le plexus sous-muqueux de Meissner. Ces cellules proviennent du même feuillet embryonnaire que les cellules du système nerveux central, elles s’en séparent à un stade précoce de l’embryogenèse pour former le SNE.
De ce fait, le système nerveux intestinal et le cerveau se ressemblent, tant sur le plan structurel que fonctionnel. Ils utilisent les mêmes structures de neurones sensoriels et moteurs, les mêmes circuits de traitement de l'information et les mêmes cellules gliales ainsi que les mêmes neurotransmetteurs incluant l'acétylcholine, la norépinephrine, la dopamine ou la sérotonine dont 95% est couvert par le SNE.
Dans les plus de sept mètres de l'intestin, le système nerveux intestinal s’agence en un réseau complexe de microcircuits densément connectés les uns aux autres, et dirigés par plus de neurotransmetteurs et de neuromodulateurs que l'on en trouve dans le système nerveux périphérique. Cela permet au SNE de fonctionner indépendamment du contrôle du système nerveux central, bien qu’il soit en interaction avec celui-ci via le nerf vague. Il assure ainsi le péristaltisme et les mouvements reflexes en réponse à une stimulation des neurones sensitifs, la régulation des secrétions muqueuses et celle de la circulation sanguine. Il contrôle la barrière épithéliale intestinale qui est une véritable frontière entre le monde externe et l’organisme. Sans oublier que près de 85% des cellules immunitaires de l’organisme sont produites au niveau de l’intestin.


Le nerf vague, intermédiaire entre cerveau et flore intestinale ?

Le nerf vague véhicule un courant permanent entre le cerveau et l’intestin à travers les neurotransmetteurs. Cette communication permet entre autres de protéger l'organisme contre certaines menaces : par exemple, en présence d'un aliment infecté, l'intestin alertera le cerveau via le nerf vague ; le cerveau signalera alors à l'intestin d'arrêter le processus de digestion.
Les similarités entre les cellules du système nerveux central et entérique, ainsi que l’étroite connexion assurée par le nerf vague expliquent pourquoi des médicaments qui agissent au niveau cérébral peuvent aussi avoir des effets sur l'intestin. C'est le cas de certains antidépresseurs qui, en agissant sur la sérotonine, provoquent souvent des troubles digestifs chez les patients soignés pour une dépression. A l'inverse, les antidépresseurs administrés en petites doses peuvent améliorer les symptômes intestinaux en cas de syndrome de l'intestin irritable. Ces liens entre cerveau et intestin pourraient expliquer le profil anxieux qu’on retrouve chez les patients souffrant d'un syndrome de l'intestin irritable ou de maladie inflammatoire chronique de l’intestin.
Par ailleurs, un modèle triangulaire d’interaction a été suggéré où le microbiote intestinal prendrait part dans la communication entre cerveau et intestin et influencerait ainsi le fonctionnement cérébral.


Microbiote Intestinal ? C’est quoi ? Son rôle ?

Anciennement nommée « flore intestinale », le microbiote intestinal est l’ensemble des microorganismes se trouvant dans le tube digestif dont le mutualisme assure un avantage commun à leur existence. Le microbiote intestinal se constitue progressivement après la naissance pour atteindre une composition proche de l’âge adulte vers l’âge de 3 ans. Il est à noter que chaque être humain est unique au regard du microbiote qu’il héberge.
Ces microorganismes, seraient 3 fois plus nombreux que le nombre de cellules apparentant à l’hôte et comporteraient 90% des gènes portés par notre corps. Alors que la médecine affirmait que notre génome était le principal déterminant des caractéristiques de notre santé, des recherches récentes tendent à montrer que le microbiote intestinal aurait un rôle majeur non seulement dans le développement de notre appareil digestif mais aussi sur notre métabolisme, notre système immunitaire et même comme on l’a déjà mentionné, sur notre cerveau. Il est donc considéré comme étant un véritable « organe vivant ».
Le microbiote intestinal intervient dans la dégradation des aliments que l’organisme ne peut dégrader comme les fibres alimentaires, il produit des vitamines que nous ne synthétisons pas (vitamine K, groupes de vitamine B) ainsi que certains acides gras. Il réduit le taux de cholestérol et notre glycémie par mécanismes divers comme la gestion de l’absorption de certains nutriments.
Par exemple, chez les patients souffrant d’obésité, il a été observé l’existence d’une dysbiose (c'est-à-dire un déséquilibre dans la quantité ou la qualité des bactéries du microbiote), entrainant ainsi un syndrome métabolique. Ceci suggère une meilleure sensibilité à l’insuline en absence de ces déséquilibres. 


Vers une nouvelle piste étiopathogénique des maladies neurologiques ?

Une étude de l’Université d’Aarhus, au Danemark, a démontré l’implication du nerf vague dans le développement de la maladie de Parkinson. On retrouve chez les patients parkinsoniens une modification importante du microbiote intestinal qui dépasse les simples disparités interpersonnelles. Il existe également une corrélation entre la quantité de bactéries du genre Enterobactericeae et la gravité des atteintes de la mobilité et l’équilibre chez les patients. L’apparition de troubles digestifs tels que la constipation a été notée chez un grand nombre de patients plusieurs années avant l’installation des symptômes de la maladie.
On pense donc que le microbiote pourrait induire les lésions initialement dans le tube digestif pour progresser ensuite via le nerf vague et participer au développement de cette maladie. L’étude s’est portée sur plus de dix-mille (10000) patients ayant subi une vagotomie dans les années 1970 dans le cadre d’un traitement pour l’ulcère d’estomac. Il a été démontré que la prévalence de la maladie chez ces patients serait réduite à 50% comparée à un deuxième groupe de personnes ayant un nerf vague intact. Ces résultats, s’ils n’affirment pas l’origine de la maladie de parkinson, ouvrent une piste prometteuse dans la compréhension de ses mécanismes étiopathogéniques.
Le déséquilibre du microbiote intestinal, ou dysbiose, est également retrouvé chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Selon une étude menée en Lombardie sur 270 patients, cette dysbiose en faveur de bactéries pro-inflammatoires serait à l’origine de la formation de dépôts amyloïdes. Il a été noté que certaines de ces bactéries avaient la capacité de produire in vitro des quantités notables de peptides amyloïdes biologiquement similaires à ceux retrouvés dans la maladie d’Alzheimer.
En ce qui concerne la Sclérose En Plaque (SEP), des recherches expérimentales sur l’encéphalomyélite auto-immune (EMA), modèle animal de la SEP, suggèrent que la modification du microbiote, notamment par les antibiotiques, réduit la sévérité de la maladie.
Les anomalies de la composition du microbiote ainsi que des symptômes gastro-intestinaux sont tout aussi présents chez les personnes atteintes d’Autisme. Ce qui a motivé une équipe de l’institut de technologie en Californie à se pencher sur la question. L’étude a comparé les microbes intestinaux de souriceaux autistiques, nés de souris infectées chimiquement, et ceux de souriceaux sains. L’analyse a montré que les souriceaux malades possédaient moins de bactéries de l’espèce Bacteroide Fragilis dans leur tube digestif. Plus prometteur encore : en administrant cette bactérie aux rongeurs autistiques on a noté une nette amélioration de leur comportement et leurs troubles digestifs !
Des données favorables ont été recueillies quant à l’administration orale d’un antibiotique (vancomycine) chez des enfants atteints d’autisme régressif, où l’apparition de troubles autistiques vient altérer a posteriori le développement normal de l’enfant. Souvent corrélée à une antibiothérapie antérieure suivie d’une diarrhée chronique chez l’enfant. Les chercheurs spéculent sur le fait que le bouleversement de la flore « indigène » chez certains enfants, pourrait promouvoir la colonisation par des bactéries produisant des neurotoxines, contribuant par ce mécanisme à la symptomatologie. 


Oui ! Même le stress !

Des études ayant comparé des rongeurs axéniques (dépourvus de microbiote intestinal) à d’autres conventionnels ont montré que l’absence du microbiote intestinal intensifiait la réactivité de l’axe corticotrope et augmentait le niveau d’anxiété induit par le stress. L’administration de probiotiques chez les modèles de rongeurs ayant un niveau d’anxiété élevé avait un effet anxiolytique. Il a aussi été noté des dysbioses chez les rongeurs présentant des comportements dépressifs.
La découverte que le microbiote intestinal régule les réponses neuroendocriniennes et émotionnelles au stress conduit à l’hypothèse que son déséquilibre pourrait contribuer chez l’homme comme chez l’animal à la physiopathologie de troubles du comportement tels que les troubles anxieux et la dépression. 


Un peu de physiopathologie

L’échange bidirectionnel entre l’intestin et le cerveau se fait par le biais de produits bactériens libérés dans la circulation sanguine (Acides gras, Neurotransmetteurs...) ainsi qu’à travers des interactions neuronales, immunitaires, et endocriniennes :
D’abord, le système nerveux entérique est responsable de la régulation de la motilité du tube digestif, des sécrétions glandulaires, ainsi que de la réponse immunitaire des muqueuses (modulation de sécrétion des cytokines). Il est en partie modulé par le système nerveux autonome, à travers les fibres vagales (certaines actions du microbiote sont dépendantes de l’intégrité de ces fibres) et la subdivision sympathique qui agit à travers les neurotransmetteurs ou les hormones de stress. D’une autre part, le système autonome communique étroitement avec le système limbique et d’autres structures cérébrales. Ceci explique l’action du stress dans la modification de la motilité et sécrétions digestives, altérant ainsi l’équilibre du microbiote. Aussi, certains micro-organismes possèdent des récepteurs aux hormones de stress, dont l’activation induit l’expression de gènes spécifiques. Ces différents mécanismes expliquent la dysbiose observée au cours du syndrome de l’intestin irritable, alors que l’interaction endocrinienne se fait par le biais d’hormones produites par les cellules neuroendocriniennes du tube digestif (sérotonine, ghréline...). Ces cellules sont en étroite communication avec les microorganismes qui peuvent influencer leur sécrétion.
Enfin, l’interaction immunitaire, qui se manifeste par le changement des taux de cytokines systémique en cas de dysbioses, et les dysfonctions cérébrales observées en concomitance avec cet état. D’ailleurs, l’une des théories pathogéniques de la sclérose en plaque incrimine la dysbiose dans le déséquilibre immunitaire observé. 


Un avenir prometteur pour la Neuro-gastroenterologie ?

La découverte de l’impact du microbiote et du système nerveux entérique sur le cerveau ouvre de nouvelles perspectives quant à la compréhension des mécanismes étiopathogéniques des maladies neuropsychiatriques. Il est sûr qu’à l’avenir les données recueillies permettront de mettre au point de nouvelles modalités de prise en charge diagnostiques et thérapeutiques, une meilleure considération d’éventuelles comorbidités entre maladies neurologiques et digestives, ainsi qu’une approche plus associative envers ces deux systèmes autrefois considérés sans liaison particulière.
Il serait possible à l’avenir de diagnostiquer les maladies de Parkinson et d’Alzheimer en effectuant des biopsies rectales. Et ce, en détectant les lésions propres à ces maladies (corps de Lewy, plaques amyloïdes et dégénérescences neurofibrilaires) et qui se retrouvent dans le système nerveux entérique des patients atteints ; tirer profit de l’apport des antibiotiques, probiotiques, ou même de la transplantation fécale dans des maladies neuro-psychiques telles que l’autisme et la dépression ; mais aussi de maladies gastro-intestinales telles que le syndrome de l’intestin irritable et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, sur lesquels la gestion du stress et des émotions pourrait avoir un effet bénéfique. Une médecine personnalisée tenant compte des caractéristiques microbiotiques de chaque individu pourra également voir le jour.


Beaucoup reste à découvrir…

Une vaste étude nommée « génération MB » et qui sera bientôt lancée à Genève, suivra des nouveau-nés depuis leur vie intra-utérine dans le but de mieux comprendre leur écosystème intestinal et le rôle du microbiote dans le développement d’éventuelles maladies dont l’autisme. En attendant, il semble évident qu’une santé mentale optimale repose en grande partie sur des intestins en bonne santé, et vice versa.


Références

- “The Second Brain: A Groundbreaking New Understanding of Nervous Disorders of the Stomach and Intestine” de Michael Gershon (1999)
- Le système nerveux entérique ou deuxième cerveau - LE VENTRE - Par Isabelle Simonetto, Dr en Neurosciences
- Wikipédia : Le système nerveux entérique https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_nerveux_ent%C3%A9rique
- Interview Arte avec Michel Neunlist, Directeur de recherche à l’Institut des Maladies de l’Appareil Digestif (CHU de Nantes)
- Protective effect of vagotomy suggests source organ for Parkinson's disease. / Svensson, Elisabeth; Horváth-Puhó, Erzsébet; Thomsen, Reimar W; Djurhuus, Jens Christian; Pedersen, Lars; Borghammer, Pers Sorensen, Henrik Toft. In Annals of Neurology (12.08.2015)
- http://www.gurumed.org/2015/07/04/la-maladie-de-parkinson-commencerait-elle-dans-lestomac/
- Le Temps : Quand le ventre fait mal au cerveau par Sylvie Logean (06.11.2015) https://www.letemps.ch/sciences/2015/11/06/ventre-mal-cerveau
- Short-term benefit from oral vancomycin treatment of regressive-onset autism / Sandler RH, Finegold SM, Bolte ER, Buchanan CP, Maxwell AP, Väisänen ML, Nelson MN, Wexler HM. Section of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, Rush Children's Hospital, Rush Medical College, Chicago USA (15.06.2000)
- http://www.passeportsante.net/fr/Actualites/Nouvelles/Fiche.aspx?doc=composition-microbiote-intestinal
- http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/alzheimer
- http://incr.fr/maladies/13-maladie-de-parkinson/12-la-maladie-de-parkinson-en-2012
- Les Echos : notre ventre une intelligence supérieure (26.05.2014) http://www.lesechos.fr/26/05/2014/LesEchos/21695-057-ECH_notre-ventre--une-intelligence-superieure---.htm
- Gut feelings : The future of psychiatry may be inside your stomach (21.08.2013) http://www.theverge.com/2013/8/21/4595712/gut-feelings-the-future-of-psychiatry-may-be-inside-your-stomach
- Un cerveau dans nos entrailles http://www.sciencepresse.qc.ca/blogue/2013/02/15/cerveau-vos-entrailles
- http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=28528782
- http://www.jle.com/fr/revues/med/e-docs/microbiote_intestinal_un_role_potentiel_dans_les_troubles_psychiatriques_majeurs._une_revue_qualitative_systematique._premiere_partie_aspects_cliniques_305870/article.phtml
- http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/57938
- https://fmoq-mdq.s3.amazonaws.com/2014/10/vp/004-014_VieProfessionnelle_1014_5.pdf
- https://lejournal.cnrs.fr/articles/microbiote-des-bacteries-qui-nous-veulent-du-bien
- http://www.nutergia.com/fr/nutergia-votre-expert-conseil/dossiers-bien-etre/microbiote.php
- http://www.probiotiques-sante.fr/lintestin-notre-second-cerveau/
- http://www.nature.com/nrmicro/journal/v10/n11/full/nrmicro2876.html

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