Alzheimer : comprendre la maladie


Alzheimer : comprendre la maladie 


Nour El Houda TAZROUT


Considérée pendant longtemps comme maladie rare, Alzheimer, pathologie de la vieillesse, est devenue la première cause de dépendance chez le sujet âgé. C’est la plus fréquente des maladies démentielles. Elle n’en est pas moins une composante anormale du processus de maturation de la personne. Ses conséquences physiques, psychologiques et socioéconomiques en font une contrainte pour les personnes chargées des soins ainsi que les familles. 

Selon la fédération « Alzheimer Disease International », elle toucherait environ 44 millions de personnes à travers le monde. Malheureusement, seulement 1 personne sur 4 est diagnostiquée et prise en charge. En Algérie, le nombre de cas est en nette progression : La Société Algérienne de Neurologie et de Neurophysiologie Clinique (SANNC) parle de 100 000 personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer à travers le territoire. « C’est une estimation nationale réelle, même si nous ne recevons que 10 000 malades en consultation », a attesté le professeur Arezki Mohamed, ancien président de la SANNC. On estime que le nombre de cas dans le monde devrait atteindre 8.4 Millions en 2030 et 13.8 millions en 2050. Ces chiffres soulignent la nécessité de maîtriser le B.A.-BA maladie.
Je vous propose, à travers cet article, de développer les principales connaissances qui vous aideraient à mieux comprendre cette pathologie.


Aux origines de la maladie

Alois Alzheimer, neuropsychiatre, publia en 1907, à l’occasion de la 37e conférence des psychiatres allemands à Tübingen, un article concernant le cas d’une de ses anciennes malades, Auguste Deter. Âgée seulement de 51 ans, elle présentait des troubles majeurs de la mémoire, un délire de jalousie, accompagnés d’une désintégration majeure des fonctions cognitives, évoluant progressivement durant les 4 dernières années à une « démence » ; Mais une singularité posait problème, elle était trop jeune pour être sénile. On lui avait diagnostiqué ce qu’on appelait, en ce temps-là, une « démence présénile ». La prise en charge était limitée à des bains chauds et tièdes, des exercices physiques, des massages, des règles diététiques, avec usage du chloroforme en cas d’agitation. Un peu rustre me diriez-vous, mais il faut savoir, qu’à cette époque, la thérapeutique psychiatrique n'était qu'à ses balbutiement. Après son décès, le Dr. Alzheimer obtint la permission d’autopsier son corps. Invraisemblable, la surprise était au rendez-vous. Il retrouva une atrophie cérébrale prédominante au cortex impliqué dans les fonctions de mémoire, langage, jugement et pensée. Il décida alors d’aller plus loin et examina son cerveau à l’aide de la technique d’imprégnation argentique. Deux types de dépôts anormaux apparurent en intra et extra neuronal. Ces dépôts, dénommés plaques séniles, avaient déjà été observés par Blocq et Marinesco en 1892, mais ce fut la première fois qu’Alzheimer les observait chez une personne aussi jeune.
Malgré la découverte du Dr. Alzheimer et sa publication, les symptômes de la maladie demeurèrent, pour la plupart des psychiatres, une forme particulière de paralysie générale, d'épilepsie, voire un simple processus normal du vieillissement non moins habituel chez les patients âgés.
Ce n'est qu'en 1960, grâce à la découverte d'un lien entre la détérioration des fonctions cognitives et le nombre de plaques séniles, qu'on la reconnut comme étant une maladie à part entière. Depuis ce jour, elle suscite l'intérêt des scientifiques chercheurs, qui découvrent rapidement un lien génétique, expliquant les formes familiales. À la suite de cette découverte, ils entament une série d'études approfondies, qui ne peuvent nous laisser qu’optimiste, concernant l’avènement de nouvelles méthodes diagnostiques et thérapeutiques.


Mais qu’est-ce que la démence ?


L’OMS définit la démence comme étant un syndrome, généralement chronique ou évolutif, dans lequel on observe une altération de la fonction cognitive (capacité à effectuer des opérations de pensée), plus importante que celle que l’on pourrait s’attendre lors du vieillissement normal. Elle affecte la mémoire, le raisonnement, l’orientation, la compréhension, le calcul, la capacité d’apprentissage, le langage et le jugement. La conscience n’est pas touchée. Une détérioration du contrôle émotionnel, du comportement social ou de la motivation accompagne souvent, et parfois précède, les troubles de la fonction cognitive.


Qu’en est-il de la maladie d'Alzheimer ?

La maladie d'Alzheimer et les différents types de démence reste encore mal élucidés. Selon le "National Institute on Aging» (NIA), la démence affecterait la communication et l'exécution des activités quotidiennes, tandis que la maladie d'Alzheimer est une forme de démence qui affecte spécifiquement les structures du cerveau qui contrôlent la pensée, la mémoire et le langage. En effet, 10 à 15 ans avant l'apparition des symptômes, 2 lésions principales se forment dans le cerveau : Les plaques séniles et la dégénérescence neuro-fibrillaire.
Dans les conditions normales, les protéines de surface « APP » sont dégradés en protéines bêta-amyloïdes éliminées régulièrement. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, une élimination inefficace de ces protéines bêta-amyloïdes conduit à leur accumulation et leur agrégation en fibres insolubles, les plaques séniles.


Par ailleurs, la protéine TAU qui normalement stabilise la structure microtubulaire du cytosquelette neuronal, est défectueuse. Elle se détache de celui-ci et s’accumule sous forme de filaments ; C'est la dégénérescence neuro-fibrillaire. À terme, sans le cytosquelette et avec cette surcharge filamenteuse, le neurone n'est plus fonctionnel et finit par subir une apoptose. 
Cependant, on ne sait pas vraiment laquelle de ces deux anomalies apparait en premier. Des théories proposent qu’avant même que les plaques séniles ne se forment, des oligomères toxiques de protéines bêta-amyloïdes s’accumulent au niveau des synapses. Ceci perturbe la communication inter-neuronale et conduit ultérieurement à le développement des dégénérescences neuro-fibrillaires. Ce n’est qu’une théorie, car le lien entre ces 2 lésions doit être étudié de façon plus approfondie. Néanmoins, une étude récente, menée par les chercheurs de l’université de Californie du Sud et dirigée par Mara Mather, Professeur de gérontologie et de psychologie, montre que le Locus Coeruleus serait l’épicentre de la maladie. En effet, les protéines TAU étaient particulièrement abondantes dans cette région au début de l’âge adulte.
En tout cas, le déroulement exact des cascades de réactions, à l'échelle moléculaire, et l’intervention des différents facteurs génétiques et environnementaux aboutissant à une finalité de symptômes stéréotypés, restent à élucider.
La liste des facteurs supposés être associés à la maladie d’Alzheimer est longue. Ils indiquent une susceptibilité au développement de la maladie et non une affirmation sur son apparition. L’hypercholestérolémie, l'hypertension artérielle, le diabète, le tabagisme, l'obésité et la sédentarité sont les principaux facteurs de risque modifiables et, dans une certaine mesure, communs aux maladies cardiovasculaires. D’autres facteurs interviennent également, on citera, entre autre, l’alcool, les traumas crâniens, le faible niveau de scolarité et, pour certains spécialistes, la dépression ; Mais pour ce dernier facteur les avis sont mitigés : La dépression peut être considérée comme facteur prédisposant à la maladie mais peut, aussi, en être un symptôme précoce révélateur.
Concernant les facteurs non modifiables, l’âge supérieur à 65 ans ainsi que le sexe féminin sont les principaux facteurs connus pour le développement sporadique de la maladie. Malheureusement, des cas, de plus en plus précoces, de manifestation de la maladie sont diagnostiqués chez des patients de moins de 60 ans, le plus souvent dans un contexte d'hérédité familiale, qui restent, heureusement, rares.
Des recherches à ce sujet restent toujours d’actualité. On a pu, en outre, identifier un nombre de mutations de gènes spécifiques transmissibles à la descendance. Si les gènes APP, PSEN1 et PSEN2 présentent une quelconque mutation, voire même une duplication pour l'APP, le risque de développer la maladie d'Alzheimer précocement s'accroit, notamment si des cas similaires sont retrouvés dans la famille.



Diagnostic et apport des nouvelles techniques d’identification

La maladie d’Alzheimer correspond à un dysfonctionnement, voire même à des lésions organiques, principalement au niveau du cortex entorhinal et transentorhinal de la région temporale interne. Asymptomatiques pendant longtemps, elle évolue progressivement vers une perte totale de toute faculté cognitive.
En s’appuyant sur le système élaboré par le docteur Barry Reisberg, chef de clinique de la « New York University School of Medicine's Silberstein Aging and Dementia Research Center », les experts ont défini 07 stades. Cependant, ces derniers, pouvant se chevaucher, il est difficile de déterminer à quel stade exact de la maladie se trouve une personne.
Habituellement, les 2 premiers stades restent peu symptomatiques, voire asymptomatiques. Le diagnostic probable de la maladie n'est presque jamais mentionné. Au début, aucune déficience de mémoire ni signe de démence. Puis, on reconnait un déficit cognitif très léger le plus souvent dû à l’âge : La personne rapportera des trous de mémoire et d'oubli, de plus en plus fréquents, de mots, de lieux et de certains objets de la vie quotidienne, mais sans présenter aucun syndrome démentiel remarquable par le praticien ou les proches.
Au 3e stade, le déficit cognitif s’installe. Il est certes léger, mais permet de faire le diagnostic des formes précoces d'Alzheimer, qui sont d'évolution rapide et bruyante. Puis vient le 4e stade, où le déficit cognitif, modéré, est usuellement détectable par un examen médical approfondi. Les symptômes sont plus évidents, la mémoire récente est atteinte ainsi que les souvenirs relatifs à son propre passé. Certains patients commencent même à ressentir des difficultés quant à la planification et à l'organisation, avec une instabilité émotionnelle. Tout ce tableau s'intègre dans le stade dit léger ou précoce de la maladie d'Alzheimer.
Lors du stade intermédiaire de la maladie, c'est à dire le 5e stade, il existe un déficit cognitif des fonctions de mémoire et de raisonnement avec une désorientation spatiotemporelle, le patient ne se souvient plus de son adresse ou de son numéro de téléphone. Il commence à perdre les souvenirs de son enfance et de sa famille avec des difficultés, de plus en plus marquées, dans le calcul simple et la prise de décision rapide. Cependant il garde une certaine autonomie pour se nourrir et se laver, malgré son besoin d'aide pour les activités quotidiennes plus complexes. 


Dans le stade 6, on note un net changement de la personnalité et du comportement, mimant un tableau schizophrénique hallucinatoire et obsessionnel, avec des troubles majeurs du rythme du sommeil qui s'inverse en plus d'une incontinence. Le patient est tellement désorienté qu'il erre, perdu, ne reconnaissant plus son domicile ou fait de travers les tâches quotidiennes, auparavant banales. Ce stade donne suite au stade terminal. Dans ce dernier, il existe un déficit cognitif tellement sévère que la personne n'interagit plus avec son environnement, ses réflexes deviennent anormaux, avec une impossibilité de mise en posture debout, ses muscles se raidissent avec des troubles de la déglutition. C'est le stade le plus évolué de la maladie, il impose une prise en charge complète et continue du malade, avec un soutien psychologique pour la famille proche.
Il est bon de savoir que les syndromes démentiels, et en particulier la maladie d’Alzheimer, sont en train de subir un changement conceptuel dans la démarche diagnostic, l’avènement de techniques radiologiques, telles que l’IRM fonctionnelle et biologiques, permettent l’identification de biomarqueurs de la neuro-dégénération. Autrefois, le diagnostic, basé sur les arguments cliniques et neuropsychiques, ne laissait guère de place aux explorations paracliniques, sauf pour exclure un éventuel diagnostic différentiel, faisant obstacle à la confirmation de la maladie. L’angle de vision s’est élargi et, dorénavant, il impose une systématisation de la démarche suivant des critères qui définissent la probabilité, et non la spécificité absolue, d’être atteint de démence. Ces critères viennent d’être révisés par le « Workgroup On Diagnostic Guidelines For Alzheimer’s Disease » sous la direction du « National Institute On Aging ».


Traitement et prise en charge

L’approche actuelle vise à maintenir les fonctions cognitives le plus longtemps possible ainsi que de gérer les troubles comportementaux. Plusieurs médicaments sont approuvés par la « US Food and Drug Administration ». Parmi eux, les inhibiteurs de la cholinestérase qui permettent de garder un taux élevés d’acétylcholine, ce qui améliore les symptômes neuropsychiatriques, tels que l'agitation ou la dépression. Une autre molécule, la Mémantine (Namenda®), ralentirait la progression des symptômes modérés. Quelques fois, on peut avoir recours aux antidépresseurs, antipsychotiques et anxiolytiques afin de limiter les troubles comportementaux associés et même des somnifères pour remédier aux troubles du sommeil.
Dans une deuxième mesure de la prise en charge, on retrouve la kinésithérapie, l'ergothérapie, la psychomotricité ainsi que les techniques cognitivo-comportementales, qui aident à regagner une certaine autonomie, dans les phases précoces et maintenir un certain degré d'aptitudes physiques et psychiques, dans les stades avancés de la maladie. Tout ceci ne guéri nullement la maladie, il ne fait que gérer les symptômes trop bruyants. C’est dans la recherche scientifique que réside l’avenir.
Plusieurs essais cliniques visant à débarrasser le cerveau des plaques séniles sont en cours. En effet, Des chercheurs américains de l’université de Tampa (Floride) ont démontré que du sang de cordon ombilical injecté dans le cerveau de souris atteintes d’Alzheimer a permis de réduire la neuro-dégénérescence. D’autres équipes françaises ont pu démontrer qu’aider le cerveau à évacuer son cholestérol améliore les symptômes chez les souris.
Toute en s’inspirant de ces résultats, des chercheurs ont mis au point "MIND", un régime vraisemblablement préventif contre les maladies neurodégénératives, fortement inspiré du régime méditerranéen.
Par ailleurs, une nouvelle fenêtre s’ouvre sur la possibilité de prévenir la survenue de la maladie grâce au vaccin « AADvac1 ». C’est lors du symposium de Springfield que Norbert Zilka, directeur scientifique d’AXON Neuroscience, a présenté les résultats de la phase I des essais cliniques, qui furent qualifiés d’excellents en indiquant qu’il s’agissait d’un point de départ pour concevoir l’étude clinique de phase II.
Récemment, des australiens du « Queensland Brain Institute » (MCQ) ont mis au point une technologie d’échographie thérapeutique ciblée qui irradie, de façon non-invasive avec des ondes sonores oscillantes très rapides, afin de stimuler le déplacement des cellules microgliales, pour résorber les plaques amyloïdes neurotoxiques, sans endommager le tissu cérébral. On estime que les essais sur l’homme seront envisagés pour 2017.



Pour conclure, je ne saurais trop insister sur le fait que la maladie d’Alzheimer apparait aujourd’hui comme un processus anormal de la senescence de la population, faisant intervenir une multitude de facteurs et de mécanismes étiopathogéniques aussi multiples que mal compris, ce qui a pour conséquence une limitation des possibilités de traitement. Toutefois l’espoir réside dans la recherche scientifique, qui est en pleine effervescence et qui ne cesse d’ouvrir de nouvelles perspectives vers une meilleure compréhension et une prise en charge adaptée, voire une éventuelle prévention vaccinale qui pourra juguler l’accroissement du nombre de cas.

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